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France Télécom : ce qui s’est vraiment passé

Malgré ses résultats opérationnels record, France Télécom est l’entreprise la plus endettée au monde. Notre enquête sur un opérateur en état de faillite virtuelle.

Faillite virtuelle. France Télécom est en état de faillite virtuelle ! On a beau retourner le dossier dans tous les sens, recenser les circonstances atténuantes, le constat est accablant : France Télécom est l’entreprise la plus endettée au monde ! Avec 70 milliards d’euros de dettes (près de 500 milliards de francs) aujourd’hui, qui atteindront sans doute 80 milliards lorsque les conséquences du lâchage de MobilCom, sa filiale allemande, auront été pleinement intégrées dans les comptes.Certes, les résultats opérationnels de l’entreprise sont bons ; il n’empêche, on a du mal à comprendre comment le sixième opérateur mondial en est arrivé là. Et les déboires similaires de certains de ses homologues européens (Deutsche Telekom ou KPN) n’expliquent pas tout. À titre d’exemple, Telefónica (également embourbé en Allemagne avec sa filiale Quam, mais qui a eu la sagesse de se retirer lors des enchères pour l’UMTS britannique), Telecom Italia (18,3 milliards d’euros de dettes seulement), Swisscom (avec son trésor de guerre de 5 milliards d’euros) ou Portugal Telecom (qui affiche de bons résultats) s’en sortent nettement mieux.

Une dette sous contrôle !

Si, comme on le dit volontiers, l’analogie avec le “trou” du Crédit Lyonnais (de l’ordre de 15 milliards d’euros) n’est pas pertinente, l’addition n’en demeure pas moins cinq fois supérieure.Pour essayer de comprendre, un rapide retour en arrière s’impose. Lorsque Michel Bon, le président de France Télécom, présente, en mars 2002, ses résultats annuels calamiteux pour l’exercice 2001 (qui, compte tenu des nombreuses provisions et autres “écarts d’acquisition” se traduisent par une perte nette de 8,3 milliards d’euros), il se veut rassurant. Pédagogue, il répète que la dette est sous contrôle, que le résultat opérationnel de l’opérateur est “le meilleur jamais enregistré” et que l’exercice 2002 se présente sous de bons auspices. Certes, il admet deux acquisitions “malheureuses” (NTL, en Grande-Bretagne ; et MobilCom, en Allemagne) et concède que la perte 2001 ?” qu’il n’est “pas fier d’annoncer”?” est “sans précédent”. Six mois plus tard, les comptes du premier semestre montrent une nouvelle progression du chiffre d’affaires (22,5 milliards d’euros) et du résultat opérationnel (3,2 milliards d’euros). Inversement, la perte nette semestrielle ?” compte tenu d’une nouvelle dépréciation d’actif sur MobilCom ?” s’établit à 12,2 milliards d’euros pour l’ensemble du groupe. Un nouveau record !Encore une fois, comment en est-on arrivé là ? L’enchaînement des faits est à peu près connu. En pleine exubérance, France Télécom débourse 40 milliards d’euros comptants pour se payer Orange, l’étoile montante de la téléphonie mobile en Europe. Contrairement à ce que répandent volontiers les partisans du président déchu, ce n’est pas parce que le gouvernement (socialiste) de l’époque ne voulait pas que l’État descende en dessous de 50 % du capital de France Télécom que l’opération ne s’est pas faite par échange d’actions, mais tout simplement parce que Vodafone, le vendeur, voulait être payé… comptant.

Une gabegie invraisemblable !

Partant de là, l’engrenage infernal de la dette est en marche. Sans compter que, quelques semaines auparavant, l’opérateur national a commis une énorme bêtise en entrant au capital de l’allemand MobilCom, un revendeur de services qui a alors le vent en poupe.Même si le montant de la transaction (3,7 milliards d’euros pour 28,5 % du capital) est sans commune mesure avec le rachat d’Orange, le dossier est particulièrement mal ficelé. À telle enseigne que cette aventure catastrophique coûtera, au bas mot, une dizaine de milliards d’euros au Français. Une histoire invraisemblable qui entraînera la chute de Michel Bon et qui aurait coûté encore plus cher s’il ne s’était pas résolu à jeter l’éponge le mois dernier. Et dire que France Télécom ne détenait que 28,5 % de MobilCom…En plus de cette incursion malheureuse outre-Rhin, le prix exorbitant des licences UMTS en Allemagne (8,37 milliards d’euros pour MobilCom) et en Grande-Bretagne (6,8 milliards pour Orange) n’a guère arrangé les choses. Des sommes considérables qui ont atterri directement dans les caisses du Trésor britannique et du Trésor allemand, renflouant ainsi les finances publiques de ces deux pays. Et dire que, lorsque Martin Bouygues, débonnaire, dénonçait cette incohérence, ses interlocuteurs se contentaient d’un sourire poli… Ajoutons à cela les difficultés ?” récurrentes ?” de Global One, la filiale spécialisée dans les services internationaux aux grandes entreprises, et finalement mariée à Equant ; et celles de la filiale polonaise TPSA (3,3 milliards d’euros de dettes et environ 2 milliards d’euros supplémentaires d’engagements hors bilan)… et le panorama est à peu près complet. Bref, une gabegie invraisemblable pour un groupe de cette envergure, qui plus est, majoritairement contrôlé par l’État.En interne, la pilule est particulièrement amère à tous les échelons de la hiérarchie. Témoin ce cadre supérieur, polytechnicien, trente-cinq ans de maison, qui lâche : “Ce qui me fait le plus mal au c?”ur, ce ne sont pas les conséquences pour la hiérarchie ?” qui a fait son boulot ?”, mais pour les équipes commerciales et les techniciens, qui ont, année après année, bâti l’un des réseaux de télécommunications les plus performants au monde.” Une analyse largement partagée dans la maison, jusqu’au sein du comité exécutif. Alors, la faute à qui ?À l’actionnaire, autrement dit l’État, dont les administrateurs, à l’instar du Crédit Lyonnais, ont manqué de vigilance. À une partie de l’équipe dirigeante, ensuite, avec son manque de discernement, ses montages financiers mal ficelés (MobilCom), sans oublier le rachat de minoritaires à prix d’or comme dans certaines filiales d’Orange. Aux grandes banques d’affaires, également, avides de commissions “juteuses “. Aux analystes, enfin, dont la cécité fait froid dans le dos. “Le problème, c’est que nous n’avions pas accès aux engagements hors bilan”, plaide Yves Gassot, le directeur de l’Institut d’études de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe (Idate). Ah, les engagements hors bilan ! Et dire que Jean-Louis Vinciguerra, le directeur financier de France Télécom, faisait récemment encore porter le chapeau aux agences de notation financière et aux hedge funds (fonds vautour) qui “shortent” le marché (vente de titres à découvert). “On en a pour dix ans à s’en remettre”, soupire un ancien proche collaborateur de Marcel Roulet, le prédécesseur de Michel Bon.

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Henri Bessières