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Exclusif : “Novak et son Ai-Phone”, le court cauchemar d’Alain Damasio (part.2)

L’un des auteurs français les plus géniaux de la science-fiction offre à 01net un récit inédit. Un shot littéraire, à la fois drôle et angoissant, qui nous plonge dans les eaux noires de la dépendance technologique… (Partie 2/4)

Pour (re)lire la 1ère partie de cette nouvelle : Novak et son Ai-Phone Partie 1

Partie 2/4 : « Aie-Phone »

Il aurait aimer être dans une pub. Celle du Lonesome Hero qui dégaine son brightphone et aveugle son agresseur d’un laser. Celle du père traqué par un cambrioleur qui se cache dans son cellier et active l’infrarouge avant d’assommer… son meilleur pote !  Celle du frimeur qui tombe du raft et active à la volée un détecteur de relief pour éviter de se briser les jambes. Il se contenterait même de pouvoir allumer la torche puissante du brightphone pour voir les yeux de ses agresseurs. Mais il a le bras vrillé par un quintal de muscle. Le bras de l’Ai-Phone justement… You’re less powerful than you think.

Un instant, il espère que les capteurs d’hormones, qui doivent puer la peur, vont verrouiller automatiquement son Ai-phone en mode agression. Il n’a pas eu la présence d’esprit de le faire. Ni le temps de déclencher l’alerte vol. Il a peur que Scarlett parle, aussi. Comme si elle pouvait être blessée, comme s’il pouvait, en s’exposant lui, finalement, la protéger.

—     Tu sembles très excitée, Novak. Ça te plaît, on dirait… glousse Scarlett près de son aisselle.

Trempée au sol, Novak repense aux tests de 01Darknet sur les bugs hormonaux. Sur l’interprétation algorithmique foireuse des émotions. Il revoit le titre « Attention, Aie-Phone ! ». Comme il revoit cette fameuse critique sur les Gapple Glass qui avait valu à 01net son excommunication. On leur avait retiré l’accréditation datacenter délivrée désormais par ce mogul monopolistique Google+Apple. Ils avaient dû recréer leur site sur l’internet clandestin, en fondant un darknet.

—     Le bogoss aime les voix de salope, on dirait !  

Boris et Davor braillent de rire. Boris a arraché l’Ai-phone du bras de Novak. Dès qu’il touche l’écran, le brightphone reconnaît une empreinte étrangère et s’éteint.

—     Elle est farouche on dirait, ta copine… Rajoute nos empreintes dans ton touch ID. Vite !

—     Va te faire fou…

Novak n’a pas le temps de finir sa phrase qu’il a son front qui frappe le pavé et une clé de doigt qui lui force à écraser son pouce sur l’iD touch.

—     Dis à ta salope de nous ouvrir ses cuisses…

—     Scarlett… Voici deux… nouveaux… amis… Autorise-les… à t’utiliser…

—     Ton empreinte vocale est altérée. Es-tu en situation d’agression ?

Le taser est sur sa tempe. Novak respire et souffle.

—     Non… Pas du tout. Je suis un peu enroué.

Là, il espère un sursaut de Scarlett. Il espère une intuition humaine, comme dans ses polars où la femme du flic pige aussitôt au téléphone que son mari est pris en otage.

—     Fingerprints intégrés. Ta base utilisateur est désormais élargie à trois personnes. Bienvenue à vous, Davor et Boris !

Novak a envie de vomir.

—     File-nous le mot de passe de ton cloud !

Novak aimerait crier non et se relever. Il aimerait appeler sa mère, son frère, sa boîte, le samu, la police. Il crie finalement « Scarlett, appeler police » mais Davor annule l’appel et branche un petit boitier électronique sur le port Cosmos. « Regarde » dit-il seulement à Novak. Je te le projette que tu sois moins con cette nuit en te couchant… ». Le serbe a l’air tout à coup très calme, très concentré. Novak tape son code en clair. ScarlettX69. Boris sourit. Il n’a pas la moindre dent.

Sur la pile lisse du pont, Davor est déjà au travail. Il vidéoprojette l’écran du brightphone en 40 pouces environ. Novak est maintenant au cinéma.

Davor entre dans le cloud, le télécharge sur une bague qui clignote sur son majeur puis efface le cloud, le carnet d’adresse, les mails, les images, les messages. Il réinitialise le brightphone à la source, supprime l’empreinte digitale de Novak, réécrit directement les clés d’identification, change le numéro de série, fait valider en ligne, obtient ses nouveaux identifiants… En moins de deux minutes, il a changé toute la configuration, imposé ses styles, son profil, ses sonals et ses shortcuts.

Novak voit son Ai-Phone transfiguré. Ce qui lui était si familier, si unique, si personnalisé, tellement lui, tellement sa vie, n’existe plus. Life reboot. C’est comme si on lui avait refait le visage ou qu’on avait changé ses cinq litres de sang d’une seule perfusion massive.

Davor et Boris l’ont lâché. Sur le contrecoup de la peur et du choc, il tremble comme un chiot et chiale comme une madeleine. Davor reparamètre l’IA. Sa voix, son débit, ses inflexions.

—     Bonjour Davor. Voulez-vous qu’on se tutoie ?

—     Non.

Scarlett a été assassinée. C’est la première idée qui transperce Novak. Mais c’est pire. Elle a été remplacée. Par un homme. Jeune. Voix mâle. Ton pro. Sec et vif en débit. Novak a des ruisseaux sur les joues maintenant.

—     Tiens, lui dit Davor. On n’est pas des enculés…

Le hacker serbe lui tend la bague qu’il a faite glisser de son majeur.

—     Toute ta vie est là-dedans. La perds pas ! C’est la seule copie.

Les secondes d’après, il ne s’en souvient pas. Il s’est réveillé à l’aube dans la même flaque, sur le même quai, froid comme un linge trempé, avec un goût de brûlé dans la bouche. Il paraît que le taser fait ça, parfois.

 

La suite de cette nouvelle : Novak et son Ai-Phone (Partie 3/4)

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Alain Damasio