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Exclusif : les bonnes feuilles de “Xavier Niel, la voie du pirate”

Un livre événement sur le patron de Free sort ce jeudi 20 octobre en librairie. 01net.com vous fait découvrir en avant-première cette biographie qui tente de percer la personnalité mystérieuse du fondateur de Free et comporte plusieurs révélations.

Geek, iconoclaste, provocateur, visionnaire, Xavier Niel est tout cela à la fois. Mais il est aussi et surtout très secret, au point que personne n’était parvenu jusqu’à présent à obtenir sa collaboration pour une biographie. C’est chose faite désormais avec le livre Xavier Niel. La Voie du pirate des journalistes Solveig Godeluck (Les Echos) et Emmanuel Paquette (L’Express) qui sort ce jeudi 20 octobre en librairie. Ni portrait de commande ni biographie autorisée, l’enquête a ceci d’exceptionnel qu’elle repose notamment sur une interview du principal intéressé et sur les témoignages inédits de sa famille et de ses proches collaborateurs.

Les auteurs du livre Solveig Godeluck et Emmanuel Paquette.
DR – Les auteurs du livre Solveig Godeluck et Emmanuel Paquette.

Avec de nombreuses révélations à la clef, comme les relations étroites de Niel avec des figures de proue de la Silicon Valley ou encore ce surprenant emprunt personnel de 200 millions d’euros quémandé par son ennemi juré Martin Bouygues en 2014 pour mettre la main sur SFR. Niel a aussi été mis en garde à vue au milieu des années 90 pour avoir piraté, avec ses comparses de la société Fermic Editions, les Minitel de l’ANPE et du Crédit lyonnais. Enfin, on savait qu’il avait collaboré avec la DST quand il était jeune hacker. On apprend maintenant qu’il y a rencontré son compère de l’école 42, Nicolas Sadirac, lui-même recruté par le service de renseignement français.

Nous avons sélectionné pour vous quatre extraits qui éclairent d’un jour nouveau la saga des télécoms français.

Xavier Niel. La Voie du pirate, Solveig Godeluck et Emmanuel Paquette, First Editions, 16,95 euros.

A 20 ans, il pirate les radiotéléphones de l’Elysée

En 1987, Xavier Niel va bientôt abandonner sa classe préparatoire scientifique et s’est déjà lancé dans la grande aventure du Minitel rose. Il va connaître une brève heure de gloire avec un coup d’éclat pas si innocent qu’il n’y paraît.

À l’époque, les mobiles n’existent pas encore, mais
les plus aisés ou les personnalités peuvent équiper leur
voiture d’une grosse valise téléphonique. Leurs numéros
sont recensés dans une base de données évidemment
très confidentielle, que Xavier Niel parvient à pirater. Le
voilà en mesure d’appeler en direct 84 détenteurs de voitures
ministérielles ou présidentielles, dont le ministre
délégué à la Sécurité, Robert Pandraud, et le président
de la République, François Mitterrand, en personne !
Au journal de 13 heures d’Antenne 2, le présentateur
William Leymergie estime que « la sécurité du territoire
peut être mise en danger », rien que ça. Pour la première
fois, on peut apercevoir quelques secondes à l’écran la
silhouette du gaillard de 1,86 mètre, de dos. L’histoire
est aussi relatée dans les colonnes du quotidien Le Monde
en ces termes : « Le “pirate”, un informaticien âgé de
20 ans, M. Xavier Niel, a expliqué qu’il suffit d’un ordinateur
“à moins de 1 000 francs” et d’un peu de patience :
le temps d’essayer les multiples combinaisons qui sont
censées protéger l’accès au réseau Transpac des PTT. » L’article fait la fierté de son grand-père Paul.

 

En réalité, le jeune intrépide n’agit pas en solo : repéré
par la direction de la Surveillance du territoire comme un
crack des réseaux, il est suivi par un officier traitant, qui
se fait appeler « Toto ». Ce dernier lui a laissé entendre
qu’il aurait carte blanche pour pirater gentiment l’Élysée,
et éveiller de la sorte les consciences dans les hautes
sphères politiques. Après cette judicieuse médiatisation,
les services secrets auraient obtenu la rallonge budgétaire
espérée pour lutter contre les méchants pirates.

Le coup de génie de la Freebox

A la fin de l’été 2000, Xavier Niel, Rani Assaf, Michaël Boukobza et Pierre Gogon s’envolent pour la Californie. Ils cherchent un équipement électronique pour la maison permettant à tous leurs abonnés d’avoir l’Internet haut débit, la télévision et le téléphone. Le futur triple play !

Après leurs déconvenues, les compères décident de se
détendre un peu. Un tour à la plage de Malibu, puis un
saut au parc d’attractions des studios Universal de Los
Angeles. C’est là, en descendant les marches des fameux
Escalators extérieurs du studio de cinéma que le destin
de Xavier Niel bascule. « Et si on la faisait nous-mêmes,
cette box ? » lâche-t-il en se tournant vers Rani Assaf.
« Il suffit de trouver des gars compétents et des fers à
souder… » La phrase fait sourire les trois autres et vaudra
momentanément à leur chef le sobriquet de « Fer à
souder ».

Mais le second de Xavier prend la proposition très
au sérieux, comme à son habitude. Le gamin de 27 ans
propose de concevoir tout seul le cerveau logiciel de la
box. Et pour assembler le boîtier avec tous ses composants
électroniques, il veut faire appel à Sébastien Boutruche,
son binôme à l’école d’ingénieurs l’Efrei. Tope
là. « J’ai déjà pris des risques plus importants dans ma
vie », conclut Xavier Niel. Il a suffi de quelques secondes
pour que la décision soit prise et que le sort de Free soit
scellé.

Les coulisses du lancement de Free Mobile

Le 10 janvier 2012, Xavier Niel tient une conférence de presse d’anthologie pour lancer Free Mobile. Avec des offres à prix cassés qui ont changé le paysage de la téléphonie mobile en France. Free est immédiatement dépassé par la demande.   

À quelques semaines du lancement commercial de
Free Mobile, qui doit intervenir au plus tard le 12 janvier
2012, nos quatre mousquetaires ont peur de rater leur
coup. Et si les concurrents répliquaient avec un forfait à
9,99 euros ? Rani plaide donc pour leur couper l’herbe
sous le pied en divisant par deux le prix du futur forfait
illimité et s’aligner tout de suite sur 9,99 euros. Thomas
s’en inquiète. C’est là que Xavier lâche sa bombe :
« 2 euros ! » Quoi, un forfait quasiment gratuit ? Ça va
pas la tête ? Les répliques fusent : « T’es con, arrête, nous
on bosse », « T’es fou », « Pfff… » C’est le meilleur moyen
d’attaquer le marché par-dessous, sans pouvoir être recopié,
et de tuer les contrats prépayés qui procurent de si
belles marges aux concurrents, argumente Xavier. En
vain. « Vous n’avez pas compris, mais vous y viendrez, les
jeunes… » épilogue le quadragénaire. De toute façon,
on est en fin de réunion, Rani doit se dépêcher de partir
pour attraper son avion et rentrer à Montpellier.

Le lundi suivant, Xavier revient à la charge :
« 2 euros. » Le doute s’installe. Ter repetita une semaine
plus tard. « Au bout d’un mois, l’idée avait cheminé, on
se l’était appropriée, c’était une évidence », témoigne
Thomas Reynaud. « Le pire, c’est que ça passait », soupire
l’un des conjurés. Les télécoms sont un métier de coûts
fixes : une fois l’infrastructure financée, la rentabilité est
entièrement dépendante de la vitesse à laquelle on fait
le plein d’abonnés pour remplir ces tuyaux. « La seule
question à vous poser si vous divisez par deux le prix est :
puis-je attirer rapidement deux fois plus d’abonnés ? »
souligne Xavier Niel. Mi-décembre, tout le monde se
range aux arguments du boss. Rani griffonne les offres
tarifaires finalisées sur un bout de papier, qu’il conserve
depuis ce jour dans sa poche, tel un fétiche.

A son lancement, le réseau Free Mobile repose entièrement sur celui d’Orange

Fin décembre 2011, l’Arcep autorise Free Mobile à lancer son service grâce à un contrat d’itinérance avec Orange qui doit lui permettre d’emprunter le réseau de l’opérateur historique, le temps de déployer le sien propre. Mais Orange constate vite quelques anomalies.

L’Arcep a donné son feu vert au lancement du service Free
Mobile, fin décembre 2011, après avoir constaté que le
quatrième opérateur disposait d’un réseau propre suffisant,
conforme à ses obligations réglementaires.
Bien entendu, les concurrents se sont empressés d’envoyer
des techniciens accompagnés d’huissiers au pied
des antennes de Free Mobile, afin de mesurer si elles
rayonnent comme il faut, et si ça décroche bien au téléphone.
Leurs tests montrent que le petit opérateur a
peut-être respecté la forme, mais qu’au fond son réseau
ne transporte pas grand-chose : c’est son partenaire
Orange qui encaisse le trafic. Entre les 24 et 26 janvier
2012, SFR mesure ainsi que le taux d’accessibilité du
réseau propre de Free Mobile est très bon au Havre,
67,50 %, mais qu’il chute à 18,52 % à Vitré, à 20,8 %
à Caen, à 3 % à Nantes. À Paris, il est tombé à 0,94 %,
après un pic à 3,43 % les 19 et 20 janvier 2012.

Chez Orange, on constate que certaines antennes
Free Mobile « clignotent » : les antennes sont allumées,
puis éteintes, rallumées… Et pourquoi le site parisien
de Cognacq-Jay, susceptible selon l’opérateur historique
de contribuer à la couverture théorique de près
de 600 000 personnes, est-il éteint ? Les ingénieurs
comprennent alors que le réseau Free Mobile a été
paramétré afin de rester quasiment « invisible » pour
les téléphones des abonnés. Pis : arrivé sur le réseau
Orange, le terminal du client ne peut pas se reconnecter
sur le réseau de Free Mobile, car le petit opérateur lui
impose un délai de trente minutes. Le nouvel entrant
prend en main son infrastructure toute neuve et préfère
manifestement y aller pas à pas. Les dirigeants de
France Télécom sont outrés. Mais chut ! maintenant, il
y a le contrat d’itinérance ; on ne débine pas un partenaire
commercial.

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Amélie CHARNAY