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Du réel au virtuel et retour

Les technologies de l’information donnent l’impression de pouvoir faciliter le dialogue et diminuer les conflits. De Gênes à New York, et partout ailleurs, la réalité ne cesse pourtant pas de bousculer le réseau.

L’actualité fait subir de sérieux affronts aux technologies de l’information, ou plus exactement aux discours qui les entourent. Oui, ces discours d’il y a dix-huit mois et d’avant, lorsqu’ont commencé à se multiplier les références à la noosphère (chez Pierre Lévy, entre autres) ou au village planétaire.Dans l’euphorie provoquée par le développement des nouvelles technologies, les textes et débats s’acharnaient à établir l’existence du réseau comme un lieu à part, un Autre monde, avec de nouvelles règles, et qui aurait cohabité et interagi avec le monde tel qu’on le percevait jusque-là. L’espoir était dans le réseau, lieu d’échange, de dialogues, de partages, de négociations, ouvrant une nouvelle ère.A la mesure de cet espoir, il y avait du danger. Danger de produire des êtres désengagés du monde, danger de laisser de côté la réalité politico-sociale au profit de communautés imaginaires régnant sur un ailleurs sans conflits, danger de dissolution des corps dans un safe sex désincarné, danger des discours fascisants dans un monde de totale liberté d’expression, saut facile de la fracture sociale à la fracture numérique.Ces contrepoints alarmés décrivaient la société des clones (voir l’ouvrage d’Isabelle Rieusset-Lemarié publié sous ce même titre aux éditions Actes Sud) ou mettaient en garde contre les menaces qu’Internet faisait planer sur l’incontournable lien social (chez Philippe Breton et Alain Finkielkraut, entre autres).Encensé ou critiqué, le réseau servait et sert encore effectivement de nouvelles formes d’organisation et d’échanges. A l’image d’ Attac, cette association formée à partir d’Internet et venue fédérer une foule de mouvements autour de l’ambition de changer, au moins un peu, le monde.Et puis, lors du rassemblement des antimondialistes à Gênes, dont Attac était partie prenante, il y eut la mort pas accidentelle d’un jeune anarchiste. Comme si, à un moment, la réalité était venue fixer les limites de ce qui pouvait avoir lieu sur le réseau. La remise en cause n’a pas pris la forme d’une discussion, mais celle, brutale et bien connue, de la répression policière. Le réseau n’y pouvait pas grand-chose.Plus tard, le spectaculaire attentat du 11 septembre a initié une lutte bien réelle, qu’elle prenne la forme des virus pas du tout informatiques du charbon ou celle de bombes pas plus logiques que ça sur l’Afghanistan. Les discours sur les possibilités du réseau se font désormais un ton en dessous. Ils sont devenus défensifs alors que les spécialistes de la sécurité le montrent du doigt et y voient un outil trop pratique pour terroristes.Le dialogue, s’il a jamais eu lieu, a échoué. Les technologies de l’information n’ont pas épargné au monde ses soubresauts habituels.Désenchantement ? En tout cas, limite des discours et des espoirs. Finalement, à ouvrir l’Histoire de l’utopie planétaire d’Armand Matelard, on constate que ce n’est pas la première fois. Les routes terrestres et maritimes, les chemins de fer, les transports aériens, le télégraphe, le téléphone ont tous donné lieu aux mêmes visions : un monde pacifié par les échanges où les guerres le céderaient aux dialogues.Avec les technologies de l’information, nous répétons ce processus. Sans plus de succès. Il va falloir en faire autre chose, des nouvelles technologies.Prochaine chronique jeudi 15 novembre

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Renaud Bonnet