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Droit à l’oubli : Google exagère ou c’est nous ?

C’est acquis : les européens peuvent demander à Google de supprimer des liens vers des pages Internet comportant des informations les concernant et qu’ils jugent «inappropriées, hors de propos ou qui n’apparaissent plus pertinentes». Google a commencé à s’exécuter, mais sous certaines conditions…

Ce n’est pas si facile de se faire oublier… d’autant plus que les conditions nécessaires au retrait, par Google, de certaines informations vous concernant font toujours débat. Mais commençons par nous rafraîchir la mémoire ! D’abord, que recouvre cette expression « droit à l’oubli » ? Je trouve la version anglaise plus claire puisque la traduction littérale donne « Le droit à être oublié ». En fait, cela veut dire que vous et moi pouvons demander aux moteurs de recherche d’effacer une partie de notre passé.

L’Europe considère ainsi que désindexer certains faits qui nous gênent relève de notre droit à la protection des données. Et je pense qu’on est tous d’accord avec ça : ce n’est pas parce qu’un jour un ahuri a révélé une information, une photo ou une vidéo très personnelle sur nous, qu’elle doit sans cesse remonter à la surface lorsqu’on tape notre nom dans Google. Au minimum, c’est rageant. Au pire, c’est pénalisant. Mais, justement, qui peut en juger ?

Doit-on supprimer toutes les pages ou commentaires qui nous déplaisent ? Notre appréciation, n’est-elle pas trop subjective ? 

Parler d’application du droit est encore un peu tôt…

Dans les faits, c’est Google qui décide ou non de supprimer un contenu. La Cour de Justice européenne a, en effet, désigné le moteur de recherche comme étant juge de la question. Le moteur de recherche a, du coup, édicté certains critères avant de répondre aux demandes de désindexation. Google refuse, par exemple, de déréférencer des données liées à notre activité professionnelle ou aux entreprises ; il ne touchera pas non plus aux infos concernant des personnalités publiques ; et ne supprimera pas des pages que nous avons nous-même créées, par exemple sur les réseaux sociaux.

Mais ce n’est pas si clair. La notion de vie privée/vie publique, notamment, n’est pas la même pour tout le monde. Le livre de Trierweiller dévoilant la vie privée du Président nous l’a rappelé récemment ! Et, on ne sait pas non plus si les autres moteurs de recherche appliqueront les mêmes règles. Pour l’instant, je trouverais donc plus juste de dire que nous sommes dans une phase de tests que d’application du droit.

En France, depuis que Google a lancé son formulaire de droit à l’oubli, il a reçu environ 135.000 demandes. La moitié ont été acceptées, mais un tiers ont été refusées, et 15% réclameraient une étude approfondie.

Une épine dans le pied de Google

Il semble même que Google refuse de plus en plus de demandes de suppression. A l’évidence, ce droit à l’oubli n’est pas du goût du moteur de recherche. Pour plusieurs raisons. Parce que c’est lourd à gérer, qu’il se retrouve face à une grande responsabilité, qu’il risque des amendes,  et aussi parce que c’est contre une certaine idée qu’il défend de l’Internet.

Rappelez-vous, en 2010, son président Eric Schmidt, ironisait, dans une interview au Wall Street Journal, sur cette génération d’adolescents qui n’auront d’autres choix que de changer d’identité à l’âge adulte s’ils ne veulent pas être plombés par tout ce qu’ils publient sur les réseaux sociaux aujourd’hui. Offrir une autre identité comme seule protection de la vie privée… cette déclaration n’avait pas laissée les internautes indifférents.

En Europe, pour beaucoup, le droit à l’oubli est arrivé comme la réponse à cette mémoire impitoyable du Net. Outre-Atlantique, on reste plus que perplexe sur ses vertues. Et moi-même, je ne suis sûre qu’on emprunte le bon chemin…

Le cauchemar 1984

Les américains voient même le Droit à l’oubli comme un danger. Pour le comprendre, il faut se rappeler qu’il y a une différence entre le “droit à l’oubli” et “le droit à la vie privée”. Le droit à l’oubli concerne des données qui étaient accessibles à tous. Il s’oppose, de fait, au droit à l’information des internautes, puisque l’on retire des données qui étaient publiques jusqu’ici. Il s’oppose également à la liberté d’expression.

En outre, notre liberté d’expression sur le web est déjà régulée. Google supprime depuis des années une quantité impressionnante de contenus, sur ordre de justice. Avec le droit à l’oubli, on va plus loin puisqu’on parle de supprimer des contenus à la simple demande d’individus, sans avoir besoin de passer par une décision du tribunal. Et ça, pour une bonne partie des Américains, c’est le cauchemar 1984 incarné. Ils brandissent la menace d’un internet appauvri et censuré.

Les internautes vont-ils pouvoir réécrire l’histoire comme bon leur semble ? Pire, Google doit-il être juge de ce qui doit ou non être vu par tous ?

Leçon d’ouverture au dialogue citoyen

Pour toutes ces raisons, Google refuse de décider seul, dans son coin, ce qui doit ou non être supprimé et organise des débats sur le sujet… Et, pour le coup, il donne même une leçon d’ouverture au dialogue, à l’Europe !

Le moteur de recherche a constitué un Comité consultatif : des experts vont recueillir jusqu’en novembre prochain les avis et réflexions des citoyens européens sur la frontière entre le droit à l’information et le droit à l’oubli. Un grand débat public se tenait à Paris ce 25 septembre. Les conclusions sont attendues pour début 2015.

Dans le même temps, l’Europe a dit qu’elle allait plancher sur une liste de critères recevables pour aider Google à répondre au mieux aux demandes de désindexation. On le sait, le Vieux continent croit aux forces et bienfaits de la régulation. Pas les américains. L’histoire dira qui avait raison… Si tout n’a pas été effacé d’ici-là !

Vous pouvez voir cette chronique en vidéo (ci-dessous)

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Delphine Sabattier