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DRM, la signature en or massif

DRM. Un nouveau fantôme dans la machine, pas une âme errante, tout au plus une intelligence commerciale limitée et têtue. Sous ces trois lettres, on trouve une des plus superbes manipulations visant à transformer le réseau en pompe à
bénéfices.

Au commencement, un fichier. Il contient n’importe quoi : un logiciel, une image, un film, un morceau de musique, un livre. Ce fichier reçoit trois signatures successives.La première, celle de l’auteur qui endosse son ?”uvre. Celle-là, on la connaît bien. Elle a une signification compliquée, symbolique, et qui vient de loin. Elle marque l’achèvement du travail, elle renvoie vers le créateur comme la
source de ce qui est produit, elle jongle avec la reconnaissance, elle indique ce qui relie encore l’auteur à la production qui va vivre sa vie dans le regard d’autrui. Rome avait une formule pour ça : X fecit, X l’a fait. C’est
une marque de surface, qu’on peut gratter, retirer, effacer, recouvrir. Elle ne supporte pas la fragmentation, coupez-la en deux et elle perd son sens.La deuxième signature prend la forme d’un filigrane (watermark). Là, c’est plus qu’une simple signature. Le terme filigrane est beaucoup employé en papeterie. C’est une espèce de sceau inclus dans la trame du
papier, et non pas à sa surface, qui permet d’identifier le fabricant et de fournir d’autres informations, comme le format par exemple. La signature s’efface, le filigrane ne disparaît qu’avec l’objet lui-même, c’est pour ça qu’on l’utilise dans le
papier monnaie et les documents officiels. Numérique ou pas, le filigrane envahit son support, il l’habite. Et même si le support est coupé en petits morceaux, le filigrane résiste et apparaît dans chaque morceau d’une taille significative.La troisième signature est spécifique au numérique. Elle apparaît lors du passage du fichier dans un serveur de contenus DRM (Digital Right Management ou gestion des droits numériques). Il y est chiffré, marqué avec
une clé de description, pourvu d’une licence et enrichi de diverses portions de code dont l’intérêt se révélera plus tard, lors de la mise en circulation. Ici, on habille le fichier, on l’entoure d’une coquille blindée qui en fait un oursin peu
engageant. Cette signature DRM est opaque, elle recouvre son support, elle l’encapsule. Elle ne se laisse ni gratter, ni couper (même si de brillants hackers prouvent que ce n’est pas une règle absolue, ce qui leur vaut quelques
démêlés avec la justice, cette signature est protégée par le droit).La première signature marque l’origine, la seconde la garantit contre le détournement, la troisième la protège, mais de quoi ? La signature DRM est vicieuse et exigeante. L’utilisateur qui accède au fichier devra dialoguer avec elle,
lui fournir un mot de passe : le numéro de sa carte bancaire le plus souvent. Alors la coquille se rétracte et le fichier devient accessible. Pour le copier, il faudra un nouveau sésame, et ainsi de suite. Et les portions de code rajoutées lors de
la signature DRM entrent en action : elles renseignent le titulaire des droits de diffusion (et non l’auteur) du fichier. Combien de fois le fichier a-t-il été ouvert, copié, avec quel lecteur, a-t-il été transmis ?Au total, DRM, c’est comme si on vous livrait un fichier dans un coffre-fort, et qu’il vous faille demander au banquier de vous l’ouvrir, contre espèces, à chaque fois que vous souhaitez accéder à son contenu.C’est étrange un monde où ce sont les banquiers, qu’ils se nomment éditeurs, distributeurs, prestataires de services, intermédiaires en tout genre, qui possèdent les clés du contenu. C’est bizarre un monde où il faut des signatures sur
des signatures sur des signatures, des gangues protectrices qui marquent le contenu de toutes les façons possibles et imaginables, sans possibilité de perte, de recyclage, de corruption, de dérive. C’est déroutant que les producteurs de contenus,
les artistes en particulier, acceptent cet emballage impénétrable, cette multiplication des couches au sein desquelles le contenu a l’air d’une pauvre chose fragile. L’art n’est pas fragile, la musique n’est pas fragile. Leur place nest pas dans
les boîtes.Prochaine chronique jeudi 22 novembre
2001

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Renaud Bonnet