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Double offensive sur le net

Depuis un an, cinq “majors” préparent un site de distribution de leurs films en ligne. Elles n’en privilégient pas moins la répression contre les pirates.

Le problème d’Hollywood face à internet est plus simple à poser qu’à résoudre : en théorie, la distribution en ligne des films est devenue possible grâce au nombre croissant d’internautes disposant d’une connexion à haut débit (15 % des foyers aux États-Unis en décembre 2002 contre 10 % un an plus tôt, selon Gartner G2). En théorie toujours, le marché potentiel est énorme. Mais le foisonnement des systèmes d’échange de fichiers peer to peer fait craindre aux studios de cinéma que la première affirmation se confirme et non la seconde.

Internet pour vendre

Confrontée au même problème que maisons de disques, qui ont obtenu la fermeture de Napster sans offrir encore d’alternative sérieuse, l’industrie cinématographique représentée par la Motion Picture Association of America (qui représente 90 % des ?”uvres distribuées aux États-Unis) a décidé de répondre à sa façon.L’initiative la plus spectaculaire est la création, il y a tout juste un an, de Movie Link, une société qui ambitionne de distribuer des longs métrages sur internet pour le compte de ses actionnaires : MGM, Paramount, Sony, Universal et Warner. Movie Link a l’avantage incomparable de posséder les droits de diffusion des films appartenant aux cinq majors partenaires. Mais dans les faits, le site Movielink.com est encore vide. Son lancement a pris du retard et devrait avoir lieu avant la fin de l’année, alors que deux sociétés ont déjà atteint une audience respectable.Soutenue par Microsoft et Blockbuster, Cinema Now, de son côté, dit avoir acquis les droits de 2 500 longs métrages, dont environ 500 sont déjà disponibles en téléchargement. Le site affirme avoir 1 million de visiteurs uniques par mois. Il offre la possibilité de voir des films à la demande pour un prix allant de 3 à 5 dollars (3,05 à 5,09 euros) par titre, et propose aussi un abonnement mensuel illimité à 10 dollars qui permet de s’offrir autant de séances que l’on veut.Intertainer affirme pour sa part compter 135 000 abonnés. Outre leur souscription mensuelle qui varie entre 4 et 8 dollars, les clients du site doivent s’acquitter d’un ticket fixe de 4 dollars pour chaque film téléchargé. Le 6 août, Intertainer a passé un accord avec l’Italien Freedomland, qui devrait lui permettre d’offrir prochainement son service dans 40 pays européens. Les actionnaires de la société viennent de tous les secteurs intéressés par la distribution de films sur le réseau des réseaux : le câble (Comcast et Qwest), l’informatique (Intel, Microsoft), le cinéma (Sony) et la télévision (NBC). C’est sans doute ce qui a permis à Intertainer d’obtenir les droits de diffusion de plusieurs ?”uvres cinématographiques auprès des studios Universal, Warner et Dreamworks SKG.

La justice pour faire peur

Le fait que Movie Link soit en retard par rapport aux autres prétendants du marché laisse à penser que Hollywood n’a pas encore surmonté sa peur du média internet. “Quand le nombre d’abonnés ayant accès à l’internet à haut débit va exploser, il y aura de quoi être terrorisé”, a récemment déclaré Jack Valenti, président de la MPAA. Ce qui explique que les majors d’Hollywood misent davantage aujourd’hui sur la répression des téléchargements illégaux de films que sur leur propre projet Movie Link. La Motion Picture Association de Jack Valenti a ainsi obtenu une première victoire : le 8 août, aux États-Unis, la Commission fédérale des communications (FCC) s’est prononcée en faveur de l’adoption d’une technologie obligeant les fabricants de télés numériques à bloquer tout contenu marqué d’un signe indiquant qu’il est protégé par la législation sur le copyright.Une proposition de loi comparable, défendue par le sénateur américain Ernest Hollings, est en attente. Elle se propose d’interdire la création, la vente ou la distribution de “tout appareil digital interactif qui ne comprend et n’utilise pas des mesures garanties de sécurité”. Hollings a le soutien de la MPAA, qui a obtenu que plusieurs membres influents du Congrès (républicains et démocrates) écrivent à la FCC pour la presser d’adopter la mesure.Steve Jobs, patron d’Apple, mais aussi de Pixar, un studio d’animation à l’origine de plusieurs succès cinématographiques (dont Toy Story), voit la distribution de films sur internet en ces termes : “Dans bien des cas, la peur, hélas, paralyse l’habilité de Hollywood à saisir ce qui est je crois une incroyable opportunité”. Il se dit convaincu de ce que “la plupart des gens veulent être honnêtes et, si on leur offre des choix raisonnables, ils choisiront d’acheter le contenu”.

Le marteau et l’enclume

De son côté, Dan Gillmor, chroniqueur vedette du San Jose Mercury News, accuse Hollywood de vouloir “prendre le contrôle absolu sur ce que les consommateurs lisent, écoutent et voient”. Pour lui, les actions de la MPAA sont dans la droite ligne de l’offensive brutale lancée par les géants de l’édition musicale à l’encontre des systèmes d’échange de fichiers type Napster.
Bref, la lenteur avec laquelle Hollywood adopte internet contraste avec la vigueur avec laquelle elle s’efforce d’en contrôler l’usage, et révèle une forte préférence pour le bâton par opposition à la carotte…

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Francis Pisani, à San Francisco