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Des puces au secours des abeilles

Dans la banlieue de Lyon, des scientifiques équipent des centaines d’abeilles de puces RFID afin de surveiller leurs allées et venues. Objectif de ces recherches uniques au monde : mieux comprendre la biologie de l’abeille, et enrayer son déclin.

La ruche, installée à l’orée d’un champ de fleurs violettes, à 30 km à l’ouest de Lyon, paraît banale. Même bourdonnement, même ballet d’abeilles gorgées de nectar et de pollen… Apparence trompeuse. L’entrée de la ruche est encombrée d’appareils électroniques, reliés par des câbles à un boîtier étanche. Plus étonnant, certains insectes portent sur leur dos (ou thorax) de minuscules puces électroniques qui ne les gênent nullement dans leurs allées et venues.C’est une expérience scientifique unique au monde qui se déroule ici, organisée par l’Acta (réseau des instituts des filières animales et végétales), l’Inra, le CNRS et l’université Paul-Sabatier de Toulouse. “ Nous avons équipé 600 abeilles de puces d’identification par radiofréquence (RFID), dès leur naissance, avant de les relâcher dans cette ruche expérimentale en plein champ, commente Axel Decourtye, spécialiste des abeilles à l’Acta. Grâce à des lecteurs radio, nous enregistrons toutes leurs entrées et sorties. ” Une fois traitées, ces données informent les biologistes sur l’âge de chaque insecte lors de sa première sortie, la durée moyenne des vols à la recherche de nourriture, ou encore l’espérance de vie des abeilles. Autant d’informations précieuses pour mieux comprendre leur comportement, mais aussi les causes de leur déclin.En France, comme partout dans le monde, des milliers de colonies disparaissent chaque année, pour le plus grand désespoir des apiculteurs. Les origines de l’hécatombe sont mystérieuses : pesticides répandus sur les champs désorientant les abeilles, parasites, baisse des ressources alimentaires ? Grâce aux puces RFID, les chercheurs apportent des premières réponses. L’enjeu des recherches dépasse largement la seule production de miel. Les abeilles assurent en effet la pollinisation de 75 % des espèces végétales consommées par l’homme. Une activité vitale estimée, au niveau mondial, à 153 milliards d’euros par an

Sac à dos high-tech

Avec sa puce RFID, cette abeille de l’espèce Apis mellifera n’a aucun mal à voler et butiner. L’étiquette électronique ne pèse que 3 mg, soit à peine 3 % du poids total de l’insecte. Sa taille de 1,6 x 3 mm pour 1 mm d’épaisseur ne dérange pas plus l’abeille quand elle doit se frayer un passage dans la ruche parmi ses congénères.

Prélèvement sous haute protection

Protégés des piqûres par leur combinaison et par la fumée qui calme les insectes, les biologistes prélèvent un cadre dans la colonie qu’ils élèvent à des fins scientifiques. Une ruche contient environ 30 000 abeilles. Dans un seul cadre, 3 000 abeilles s’activent et quelques centaines de larves se développent dans les alvéoles.

Une abeille pistonnée

De retour au laboratoire, les biologistes prélèvent à la pince les jeunes abeilles émergeant des alvéoles, et les immobilisent dans une cage à piston. But de la manœuvre : déposer sur leur thorax une goutte de colle, dite arabique, à travers un fin grillage et au moyen d’un cure-dents. Une opération délicate, car la colle ne doit pas toucher les ailes, pour ne pas entraver leurs mouvements.

Etiquetage à la chaîne

L’ingénieure Julie Fourrier dépose ensuite la puce RFID, toujours à travers le grillage, sur la goutte de colle, et exerce une légère pression avec sa pince. Après trois minutes de séchage, l’abeille est transférée dans une cagette avec une cinquantaine de ses congénères dûment étiquetées. En une seule journée, les chercheurs équipent 300 insectes de leur puce personnelle.

Votre numéro de code, SVP !

Le numéro de chaque puce est enregistré au moyen d’un stylo de lecture RFID, et intégré au logiciel qui permettra ensuite de traiter les données. Ainsi, chaque abeille est identifiée individuellement. En 2009, deux groupes de 300 insectes, appelés cohortes 1 et 2, ont été équipés.

Evaluer le rôle des pesticides

L’une des expériences consiste à faire absorber à des abeilles des doses variables d’un pesticide agricole, employé dans de nombreux pays, le fipronil. Puis de relâcher les insectes “ étiquetés ” dans une ruche expérimentale, sous une grande serre contenant une source de nourriture artificielle. Les chercheurs ont montré qu’une dose très faible de pesticide, incapable de tuer l’insecte, diminue pourtant l’activité de butinage des abeilles et affecte leur vol de retour à la ruche. Une découverte qui confirme le déclin des abeilles par les pesticides.

Une énorme collecte d’informations

A l’entrée de la ruche expérimentale comptant 30 000 individus, dix lecteurs RFID contrôlent les entrées et les sorties. Ils émettent un signal radio auquel chaque puce répond en envoyant l’identifiant de l’abeille. En 2009, 237 000 données ont été enregistrées durant six semaines. Une somme d’informations colossale, fiables et inégalées grâce à la technologie RFID. Jusqu’à présent, l’observation des abeilles, reconnues au moyen d’étiquettes colorées et numérotées, se faisait à l’œil nu.

Portrait-robot d’une butineuse

Les données recueillies permettent de dresser le portrait-robot de l’abeille butineuse. Elle est âgée de 20 jours, effectue un peu moins de trois vols par jour, d’une durée de 45 minutes chacun. Entre son premier et son dernier vol, respectivement à 7 et 23 jours, elle effectue 32 sorties. Mais il ne s’agit que d’un portrait “ moyen ” derrière lequel se cache une multitude de comportements. Les différences entre butineuses intéressent tout particulièrement les scientifiques. Leurs causes génétiques ou environnementales doivent faire l’objet de futures études.

Une vie d’abeilles en chiffres

Les enregistrements à la ruche sont collectés quotidiennement sous la forme d’un fichier texte. Les deux premières colonnes indiquent le numéro de la ruche et du lecteur, viennent ensuite le code alphanumérique de la puce portée par l’abeille, ainsi que la date et l’heure d’enregistrement.

Vol de nuit

Les informations obtenues grâce au dispositif RFID permettent d’étudier la biologie et le comportement des abeilles afin de comprendre et de prévenir leur déclin. Ainsi, les chercheurs ont mis en évidence un fait jusqu’alors méconnu : les abeilles passent souvent la nuit hors de la ruche, alors qu’on pensait qu’elles “ dormaient ” à l’intérieur. Or, les opérations de démoustication, par exemple à la Réunion, sont organisées la nuit, afin de protéger les abeilles. Une stratégie qui ne serait donc pas sans risque.

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Pedro Lima