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Des architectes créent l’espace d’information

Pour la première fois dans l’histoire informatique, des architectes de profession ont participé à la conception d’une application d’entreprise. L’interface virtuelle 3D du système décisionnel du Nyse (New York Stock Exchange) a été conçue par le cabinet d’architecture Asymptote. Résultat : un système d’information réalisé en pensant au bien-être des utilisateurs.

Bâtir un système d’information comme un véritable lieu de vie, tel est l’enjeu du mariage entre informatique et architecture : “Les architectes ont des siècles d’expérience derrière eux. Nous avons encore beaucoup à leur emprunter”, avoue Michel Dardet, responsable du conseil en urbanisme dans la SSII Oresys, membre fondateur d’Urba-SI, le nouveau club français des urbanistes et architectes des systèmes d’information. Aucune confusion n’était permise jusqu’à présent : l’architecte était bel et bien cette personne qui comparait le système d’information à une ville, les données aux véhicules, les routes aux réseaux et les autoroutes à Internet. Il cartographiait fidèlement les flux d’information de l’entreprise.
Aujourd’hui, les choses se compliquent : cet architecte-informaticien d’hier plagie l’expert en bâtiment, qui pourrait bien lui voler son titre. Les architectes – les vrais – se rallient aux informaticiens pour transformer les réseaux informatiques de l’entreprise en ” infostructure “, véritable espace de travail 3D virtuel qui plonge le financier ou le comptable au c?”ur des informations de son entreprise. Cette collaboration – à ce jour, unique au monde – entre l’informaticien et l’architecte est une réalité à la Bourse de New York, le Nyse (New York Stock Exchange). Tout a commencé quand, en 1994, les responsables de la Bourse américaine, avec le soutien de Silicon Graphics (SGI), ont envisagé d’utiliser les techniques tridimensionnelles pour représenter des données. L’idée est née de l’augmentation vertigineuse du volume des informations gérées par le service en charge des opérations dans l’enceinte d’échange de titres (Trading Floor).

La 3D facilite la compréhension

Quotidiennement, le Nyse, avec plus de trois mille sociétés cotées, traite plus de huit cents millions de transactions boursières. En neuf ans, de 1989 à 1998, le volume des transactions est passé de quatre-vingt-sept milliards à plus de cent soixante-dix milliards d’actions. La piste 3D fut très vite entérinée. La responsable des opérations, Anne Allen, Vice President of Floor Operations, est époustouflée par la quantité de données qu’une interface en trois dimensions est en mesure d’afficher. Le Nyse décide alors de confier au Siac (Securities Industry Automation Corporation) la conduite du projet 3DTF (3D Trading Floor), un système décisionnel et de contrôle des transactions boursières aujourd’hui opérationnel. Le chef de projet du Siac, Dror Segal, effectue pour sa part un choix décisif en confiant très tôt la conception du modèle 3D du 3DTF à un cabinet d’architecture new-yorkais, Asymptote.

“Les environnements virtuels 3D créent un univers spatial proche du réel pour faciliter la compréhension mentale d’une hiérarchie d’informations”, explique David Serero, participant au projet 3DTF pour le compte d’Asymptote et désormais architecte principal chez Degre Zero. Par opposition, l’ancienne application d’aide à la décision se composait de vingt-cinq écrans de fiches Excel tellement imposantes que, pour détecter tous les événements inhabituels sur un stock figurés par un pictogramme rouge, les opérateurs devaient utiliser la barre de défilement du tableur. “Un utilisateur devait suivre une formation de trois à six mois avant de ma”triser le sens et la complexité de ces tableaux de chiffres, indique Davis Serero. Une durée que le modèle 3D ramène à deux semaines.”Désormais, si un seuil prédéfini – relatif à un changement de prix, au volume ou à la vélocité des transactions sur un stock – est dépassé, les agents de contrôle le décèlent d’un seul coup d’?”il sur l’interface virtuelle visualisée en VRML (Virtual Reality Modeling Language) sur neuf écrans plats de 25 pouces PixelVision.
Pour stabiliser le modèle 3D et le rendre aussi intuitif, Asymptote a fait appel à des outils avancés de rendu d’image, Softimage, Alias/ Wavefront et Maya. Le cabinet a travaillé pendant plus de deux ans en compagnie de RT-Set, la société israélienne qui a mis en ?”uvre l’espace virtuel d’informations boursières. “Avec de simples graphistes, le modèle 3D n’aurait jamais été aussi accompli, affirme Alon Carmeli, VP Marketing & Business Development de RT-Set. Les bons architectes savent mieux que quiconque appréhender l’espace et la lumière.” Pourtant, Asymptote a dû apprendre à se familiariser avec un nouveau matériau : la donnée. “C’est une matière particulière, liquide et intangible : nous l’avons abordée comme un matériau sans cesse fluctuant, qui doit donc être constamment sous observation”, précise Hani Rashid. De fait, le pari était d’obtenir une visualisation en temps réel de l’espace de données virtuel, que les architectes ont baptisé ” infostructure “. “Le modèle 3D doit être mis à jour en moins de cinq secondes lors du changement de prix d’un stock”, souligne David Serero. Pour garantir ces performances, le Nyse n’a pas lésiné sur les moyens : il s’est équipé de quatre serveurs SGI Onyx2 multiprocesseurs, qui permettent de paralléliser les traitements (calculs de données, rendu, etc. ).
La tâche d’Asymptote ne s’est pas arrêtée à la création de l’univers virtuel. Siac a demandé aux architectes de bâtir aussi l’espace physique dans lequel viennent se fondre les écrans du 3DTF. L’idée étant de susciter chez les opérateurs une sensation d’immersion totale à la fois dans l’interface graphique 3D et dans leur salle de travail, appelée Operations Center, ou ” the ramp “. Il en a résulté une forme circulaire, d’un bleu translucide – le bleu étant la couleur dominante des écrans 3D -, parée de murs de verre, de comptoirs en acier, ainsi que d’un téléscripteur électronique du Nyse plaqué au plafond, telle une orbite de cotations.
Désormais, les architectes veulent se persuader que le Nyse n’est ni une chance inouïe ni un cas isolé. Degre Zero travaille pour le compte d’un industriel à la création d’une interface de nouvelle génération. Et ce pour un système d’exploitation. Il participe aussi à un projet de recherche pour l’université suisse ETH, portant sur la construction d’un campus virtuel et d’un espace de formation en ligne. En outre, selon Jean Brangé, enseignant à l’ESA (voir interview ci-contre), comme tout autre espace de vie, il s’agira de modeler le réseau Internet. La 3D sur tous les postes de travail n’est, bien sûr, pas pour demain. Mais, pour lui, ce n’est qu’une question de temps : “Les jeunes qui jouent aujourd’hui à Doom ou à Quake en réseau n’auront aucun blocage pour utiliser les futurs navigateurs Web 3D.”

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téphane Parpinelli