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Décollage difficile pour le numérique terrestre

La télévision terrestre est le dernier grand média électronique à faire sa mutation numérique. Ce changement accentue la concurrence dans l’audiovisuel, sans apporter, pour l’instant, de nouveaux services.

D’ici à fin novembre, on devrait connaître l’identité des éditeurs de programmes candidats aux fréquences des nouveaux réseaux numériques terrestres, aux côtés de France Télévision. En juillet, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a lancé son appel à candidatures pour remplir les six multiplex numériques qui devraient, dès l’an prochain, diffuser quelque trente-trois programmes sur au moins 50 % du territoire français.Parmi les entreprises intéressées, on trouve les diffuseurs actuels, les groupes de presse régionaux et quelques nouveaux venus. Mais, cet engouement apparent n’est pas gage de succès car, comme pour tout dossier touchant la télévision, la polémique va bon train.Les éditeurs de chaînes critiquent le flou des règles édictées par le CSA ; les exploitants techniques de réseaux, eux, dénoncent des choix de planification de fréquences qui handicapent l’ouverture à la concurrence. Plus radicaux, certains ?” comme Martin Bouygues, actionnaire de TF1 et de TPS ?” n’hésitent pas à parler “d’un nouveau monstre, l’équivalent, dans le monde de la télévision, de l’UMTS dans la téléphonie mobile”. Les échos qui nous parviennent des pays déjà engagés dans l’aventure de la télévision numérique de terre (TNT) ne sont pas faits pour apaiser le débat. Pionnière, la Grande-Bretagne diffuse en numérique depuis 1998, partageant la ressource entre la BBC et le consortium OnDigital (Granada + Carlton). La nouvelle offre s’est positionnée comme l’alternative au monopoliste bouquet BSkyB, qui a répliqué en promulguant la gratuité de son décodeur.

Un bilan peu reluisant

La TNT a été obligée de s’aligner et a lancé, en partenariat avec le français Netgem, l’accès Internet sur le téléviseur. Le bilan à la mi-2001 n’est pas reluisant : les abonnements peinent à dépasser le million, et le taux de résiliation tourne autour de 22 %, malgré une relance commerciale sous l’appellation ITV Active. Autre exemple, l’Espagne : elle dispose d’un premier multiplex depuis mai 2000, Quiero TV, et a également misé sur l’accès Internet par le décodeur. Mais la concurrence des rivaux spatiaux CanalSatellite et Via Digital a, là aussi, freiné le recrutement des abonnés, qui atteignent à peine les 250 000.Un constat identique s’impose partout en Europe : même avec des chaînes entièrement nouvelles, les offres TNT de quelques dizaines de canaux ne rivalisent pas avec les centaines de programmes des bouquets numériques du câble et, surtout, du satellite. Même l’accès Internet, lié au téléphone pour la voie retour, n’a pas fait la différence. Pris à la gorge, les diffuseurs de la TNT demandent à leurs gouvernements respectifs d’accélérer l’extinction de l’analogique pour basculer au plus vite toute l’offre terrestre en numérique. Comme partout en Europe, les autorités françaises invoquent une nécessaire période de “simulcast” (diffusion simultanée dans les 2 modes) avant d’éteindre les réseaux analogiques.

Un plan de fréquences contraignant

Certains opérateurs de réseaux estiment qu’il ne faut pas “vendre” la TNT comme une nouvelle offre de programmes, mais plutôt comme un passage obligé vers une forme plus évoluée de la télévision. Ainsi, les dirigeants de towerCast, filiale du groupe NRJ, regrettent que l’on n’ait pas redéfini les plans de fréquences actuels, ce qui aurait eu pour double intérêt d’autoriser l’installation de réseaux monofréquences (SFN, Single frequency network), propices à la réception mobile ; et d’ouvrir réellement le marché à la concurrence en ne privilégiant pas les sites d’émission de TéléDiffusion de France.Le plan de fréquences proposé par les techniciens du CSA (issus des rangs de TDF, souligne-t-on à loisir) s’insère dans l’existant : un entrelacs de canaux analogiques hérité des différentes strates historiques de la télévision française, d’autant plus compliqué qu’il prend en compte des problèmes d’interférences, d’harmoniques et autres canaux tabous. Les six fréquences de TNT doivent donc s’insérer dans ce dispositif pour l’instant immuable, et les seuls émetteurs isofréquences prévus ne le sont que pour de petites couvertures locales. Cette prolifération d’émissions à venir inquiète aussi les câblo-opérateurs, qui redoutent d’être confrontés aux récriminations de leurs abonnés dont l’installation terminale (le raccordement de la prise au téléviseur) pourrait être perturbée par ces nouveaux rayonnements électromagnétiques. Après avoir demandé au Conseil d’État l’annulation de l’appel à candidatures du CSA, l’Association française des opérateurs de réseaux multiservices (Aform) a enfin obtenu un test grandeur nature sur la région parisienne, qui permettra de vérifier si les installations câblées et les antennes collectives sont immunisées contre les brouillages.La commercialisation peut aussi pénaliser la viabilité des futurs bouquets TNT. Il est heureusement acquis que le mode d’accès conditionnel et le moteur d’interactivité seront communs à toutes les offres, ce qui permettra d’unifier le parc des terminaux. Mais nul ne sait si les éditeurs de programmes et de services créeront une interface commerciale commune pour simplifier les démarches des futurs abonnés. La normalisation en cours des terminaux autour du standard MHP (Multimedia home platform) pourrait apporter un peu plus de visibilité sur le devenir de la TNT. On évoque aussi la mise en ?”uvre d’une voie retour hertzienne, à partir des propositions de la firme israélienne RunCom, pour émuler l’interactivité, indépendamment du téléphone.

De la télévision à la diffusion de données

Enfin, lors du salon IBC de septembre dernier, une dizaine d’opérateurs européens* se sont unis pour promouvoir la diffusion numérique terrestre radio (DAB) et télévision (DVB-T) comme moyen de distribution de données multimédias vers des récepteurs portables. L’avenir de la TNT serait-il dans les télécommunications ? * Crown Castle International, Deutsche Telekom, Digita, Nokia, NTL Broadcast, Philips, Retevision, SkyStream Networks, Teracom et The Fantastic Corporation.

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Philippe Pélaprat