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Conjoncture semiconducteurs : beaucoup d’idées reçues doivent être abandonnées

Tous les raisonnements des analystes concernant la conjoncture en semiconducteurs font appel à des extrapolations basées sur des données du passé. Pourtant, nombre de paramètres utilisés devraient être remis en cause.

Les sociétés d’études de marché des semiconducteurs éditent régulièrement de belles courbes montrant l’évolution des prix, des quantités de circuits produites, des investissements en équipements durant ces dix dernières années…
puis en déduisent par extrapolation comment ces facteurs vont évoluer dans les mois qui viennent. Or les résultats publiés s’avèrent souvent faux. Les outils d’analyse à leur disposition se sont pourtant considérablement améliorés ces vingt
dernières années. Des organismes tels le WSTS, le Sicas, et le Semi fournissent des données apparemment très fiables sur presque tout ce dont les analystes ont besoin. L’explication de ce taux d’erreur élevé doit donc plutôt être recherchée dans la
mauvaise pérennité de soi-disant lois jugées au fil du temps comme des fondements de l’industrie du semiconducteur.“1 dollar investi dans le semiconducteur génère de 1 à 1,3 dollar de chiffre d’affaires après deux ans.” Cette constatation des années 1980 et 1990 sert toujours aujourd’hui de référence
mais ses fondements vacillent. Le phénomène de sous-traitance à la fonderie a en effet pris son envol vers 1996. Cinq ans plus tard, il a provoqué un vrai mouvement d’externalisation de la part de presque toutes les sociétés de semiconducteurs. Un
phénomène qui n’est pas sans conséquences sur leurs modèles économiques : en particulier, avec un dollar investi, les fonderies ?” surtout celles basées à Taïwan ?” arrivent à produire environ 15 % de pièces de plus que les
usines du monde occidental et japonaises… à un coût d’environ 20 % inférieur. Il a fallu très peu de temps à TI pour juger qu’il ne pourrait pas combler cet écart à moyen terme et en tirer les conséquences ; Freescale lui a emboîté
le pas depuis peu. Aujourd’hui, ces deux sociétés emblématiques n’investissent plus que 10 % de leur chiffre d’affaires contre 25 % autrefois, ce qui change tout dans leurs comptes, surtout à court terme.Comme d’autres sociétés suivent (Philips) ou vont être obligées de suivre (ST ?), il s’agit là d’une tendance de fond. Avec des conséquences assez difficiles à chiffrer. Mais il est certain que le monde du semiconducteur n’a plus à
investir 25 % de son chiffre d’affaires comme autrefois. Au fur et à mesure que se fait la mutation, ce ratio baisse et arrivera sans doute un jour non loin de 20 %… si, bien sûr, le prix des circuits ne baisse pas
parallèlement ! Ensuite, ces clients des fondeurs voient progressivement leurs prix de revient se réduire (ce qui ne veut pas dire que les prix soient systématiquement appelés à baisser : ces derniers ne restent fonction que de l’offre et
de la demande ; voir plus loin). La légère tendance à l’augmentation des prix moyens d’autrefois (+3 % par an) est donc appelée à fléchir.

Le phénomène “fonderie” change tout

Par ailleurs, ce qui compte pour évaluer les taux d’utilisation des capacités de production et les cycles de conjoncture est le rapport entre les investissements et le nombre de pièces produites ; pas le rapport entre les
investissements et les chiffres d’affaires, directement liés à un prix moyen des pièces : ces derniers sont devenus volatils. Cet indicateur, souvent cité y compris ci-dessus, est donc devenu moins utile et est sans doute à remplacer.Autre changement fondamental : les usines sont désormais conçues pour être capables d’augmenter de quelques pourcents leur capacité de production en moins de 6 mois. Autrefois, le laps de temps était de deux ans car on attendait le
dernier moment pour construire des bâtiments supplémentaires … La différence se constate actuellement : les importants investissements du début de cette année ont réussi à repousser la phase de pénurie qui se profilait pour la rentrée.
Entretemps, il aurait été possible de relancer d’éventuels investissements plus sérieux afin d’étouffer cette menace… ce qui n’a pas été fait pour cause de budgets épuisés ! Du coup, le risque de pénurie reste très présent.Troisième donne en cours de disparition : les acheteurs ne constituent plus de stocks quand ils voient les capacités de production de semiconducteurs mondiales dépasser les 90 %… pour la bonne raison que les plus
importants d’entre eux ont leurs stocks consignés chez les fabricants de semiconducteurs.Et non plus chez eux, chez leur sous-traitant, chez leur distributeur… Plus difficile, donc, de spéculer avec les variations de stocks : les fabricants de semiconducteurs connaissent leurs propres capacités et les stocks de
leurs clients ; ils sont donc capables de planifier leurs livraisons de façon relativement fiable (cela dit, aujourd’hui, les fabricants de semiconducteurs tournent à pleine capacité et les fondeurs seront bientôt dans le même cas ; leurs
marges de man?”uvre se réduisent donc pour pouvoir répondre à toute demande imprévue). A partir de quel moment les clients exprimeront-ils leurs craintes en repassant des commandes “gonflées” ou en
double ? Plus tard qu’autrefois. Le reste de la réponse n’est qu’une histoire de communication et d’appréciation du risque des acteurs concernés.Beaucoup d’analystes ont annoncé entre 2001 et 2003 que les prix moyens des circuits intégrés étaient désormais “condamnés à baisser sur le long terme”. Contentons-nous d’observer que les
prix ont remonté depuis deux ans. De toute façon, même les Taïwanais doivent amortir leurs investissements : si les prix baissaient trop, ils n’auraient plus les moyens d’investir, donc plus assez de capacités de production, d’où naissance
d’une pénurie et remontée des prix… La vérité est que trop de paramètres entrent en jeu pour pouvoir prévoir aujourd’hui une évolution des prix moyens sur le long terme.Nombreux sont enfin les analystes à faire des courbes du type “nombre de circuits intégrés produits chaque trimestre depuis dix ans” sur une échelle logarithmique, puis à chercher à tracer
une droite “de tendance moyenne” sur ces courbes pour en déduire… que le futur sera moins bien que le passé. Nous sommes les premiers à apprécier ce genre de courbe, mais il est très dangereux
d’y inclure sans précautions la période 2000-2001, qui a connu des ruptures de marché exceptionnelles : pour nous, mieux vaut arrêter ce type de droite mi-1999 (avant-dernier point d’équilibre clair entre offre et demande, sans surstocks) et la
faire repartir mi-2003, avec la même pente ou non, suivant les convictions de chacun. Or, personne ne le fait, sans doute parce que cela choquerait trop certains clients.Normalement, toutes ces constatations devraient conduire à des prédictions sur l’avenir de l’industrie du semiconducteur plus brillantes que celles qui sont publiées ici ou là…* Rédacteur en chef d’ Electronique InternationalProchaine chronique jeudi 15 décembre

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Jean-Pierre Della Mussia*