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Comment éviter l’interruption de service

L’arrêt brutal du réseau de KPNQwest a plongé les entreprises dans la stupeur. La mise en faillite de WorldCom a doublé leur inquiétude. Elles ne sont désormais plus à l’abri chez des opérateurs que l’on pensait solides.

Qu’il semble loin le temps où le marché des télécoms ressemblait à une course au trésor, où la chance souriait aux audacieux et où tout semblait permis. Il y a quatre ans, le monopole de France Télécom éclatait, et une nuée de nouveaux acteurs faisaient leur apparition. Au moment le plus idyllique, les consommateurs avaient le choix entre des offres de pas moins de cent trente opérateurs, allant de la carte prépayée aux services les plus complexes destinés aux entreprises.Aujourd’hui, l’Hexagone ne compte plus qu’une soixantaine de ces “chercheurs d’or “. Peu à peu, les faillites et les rachats se sont multipliés, le marché opérant une sélection naturelle. Mais “l’affaire KPNQwest” a considérablement changé la donne. Bien malin qui aurait pu prédire une chute aussi brutale d’un opérateur considéré comme faisant partie des meilleurs. Désormais, la continuité de service d’un réseau n’est plus garantie. D’ailleurs, depuis quelques mois, la tendance était forte d’inclure le facteur de pérennité dans les critères de sélection d’un fournisseur. Et patatras ! les 7 milliards de dollars disparus comme par enchantement des comptes de WorldCom montrent les limites de ce raisonnement. Quand des organismes comme la COB ou son équivalent américain sont incapables de déceler des manipulations frauduleuses, comment le client aurait-il les moyens de le faire ?

À quels opérateurs se vouer ?

“Il faut éviter la panique et ne pas forcément se dire que si l’on se précipite chez Equant, tout ira bien “, réagit Jerry Bonte, en charge de l’activité conseil télécoms chez Devoteam Siticom. Une réflexion qui lui a été inspirée par le nombre de ses clients qui voient Equant comme un sauveur. Et de mettre en garde : “Si les grands comptes se jettent dans les bras des opérateurs historiques, ils vont sabrer le marché concurrentiel qui a tant de mal à voir le jour. En plus, ils n’obtiendront pas forcément le meilleur service au meilleur prix. De toute façon, il est conseillé d’éviter toute dépendance vis-à-vis d’un seul fournisseur.”Les entreprises doivent faire preuve de plus de maturité et intégrer la gestion du risque. Un avis que partage Henri Tcheng, associé responsable des télécoms chez Business Consulting (ex-Andersen) : dans les processus d’achat, “les entreprises doivent inclure un plan de secours avec la possibilité de connecter un nouveau réseau en vingt-quatre heures, quitte à payer le prix d’un réseau uniquement pour du back-up “. Pour cet analyste, le choix doit dépendre d’un savant mélange “de prix, de qualité et de services associés “. C’est également vers une solution multifournisseur que l’Afutt (Association française des utilisateurs du téléphone et des télécommunications) oriente les entreprises inquiètes.

Qui porte le poids du back-up ?

“Cela fait des années que nous conseillons cette solution, mais les entreprises se sont laissées surprendre par l’hécatombe, analyse Bernard Dupré, délégué général de l’association. Elles ne doivent pas hésiter à choisir deux opérateurs, parfois pour un même service.” Un secours qu’il faut intégrer dès le début de la réflexion, car, lorsque la tempête arrive, la négociation devient difficile. “Il est plus facile d’élaborer un contrat-cadre que d’attendre une situation d’urgence, où les marges de man?”uvre sont très limitées “, ajoute Bernard Dupré.Dès lors, en dépit des difficultés actuelles, l’opérateur doit détailler ses engagements en matière de continuité de service. Témoin Jean-Louis Vasseur, responsable télécoms du groupe de presse Le Progrès de Lyon. Sa société dépouille actuellement un appel d’offres national pour de la téléphonie locale et interurbaine, lancé – conjointement avec d’autres groupes de presse régionaux – auprès de six opérateurs, dont WorldCom. Les difficultés de ce dernier ont été annoncées au cours de la négociation. “Cela fait hésiter à choisir un opérateur alternatif, constate Jean-Louis Vasseur. Le marché semble ne plus offrir d’acteurs pérennes. Face à cette situation, les avantages de chaque prestataire en matière de tarifs et de services doivent être jugés en fonction du niveau d’instabilité que l’on est prêt à accepter “. Le responsable télécoms reste toutefois partisan de “confier l’ensemble des communications à un seul opérateur. Cela permet de négocier de meilleurs tarifs et d’uniformiser l’interconnexion des sites, tant au niveau des procédures que des interfaces “. En contrepartie, “nous analysons la capacité de l’opérateur à tenir ses engagements et à mettre en place son propre back-up. Ce n’est pas à l’entreprise de gérer un opérateur de secours, car le coût est trop élevé. Sinon, ce surcoût doit être chiffré, et il viendra réduire d’autant les économies promises par l’opérateur alternatif, modifiant ainsi la perception de chacune des offres “, conclut-il.

Plusieurs scénarios de secours

Quant aux services internationaux, qu’en est-il ? “Nous avons préparé plusieurs scénarios qui vont du simple secours via des lignes RNIS au basculement complet vers un autre opérateur “, révèle le responsable télécoms d’une société dont le réseau de données international repose entièrement sur WorldCom. “Sans les difficultés actuelles de WorldCom, nous n’aurions pas envisagé de changement, car nous sommes satisfaits du niveau de service, qui ne s’est d’ailleurs pas modifié depuis la crise “, poursuit-il. Cette entreprise possède une vingtaine de sites reliés en Frame Relay entre l’Europe, l’Asie et l’Amérique, les commutateurs d’extrémité lui appartenant.La migration vers un autre prestataire ne serait toutefois pas une mince affaire, puisqu’il faudrait au minimum de six à huit semaines pour passer sur un autre réseau. “Si de nombreuses sociétés devaient faire ce choix, cela ne serait pas une bonne chose, car les opérateurs retenus devraient travailler dans l’urgence, et cela donne rarement de bons résultats “, relève le responsable. La décision devra être prise avant la rentrée de septembre. “La question est de connaître le niveau de risque que l’on est prêt à accepter. Or, on n’a absolument aucune visibilité, même avec les assurances que WorldCom Europe a pu faire passer “, termine-t-il.

Vers un oligopole ? un cartel ?

Par ailleurs, la vague de concentration dans l’Hexagone a de quoi inquiéter. Bernard Dupré y voit un risque majeur : la création d’un oligopole de trois ou quatre opérateurs, un peu comme dans le mobile. Une situation qu’écarte Jean-Michel Hubert, président de l’ART. Pourtant le scénario catastrophe serait l’apparition d’un cartel qui se partagerait le marché sous couvert d’une pseudoconcurrence où les prix pourraient être entendus dans un cercle très fermé. Pour Jean-Louis Vasseur, “les prix ne devraient pas remonter, car l’offre reste encore assez vaste. De fait, le coût des communications sera probablement négligeable vis-à-vis du service “. Quant aux services internationaux, il faudra faire jouer la concurrence entre Equant, AT&T, NTT DoCoMo, Infonet, Cable & Wireless, etc.

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Jérôme Desvouges