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Combien d’agences web survivront à la crise ?

Treize sociétés de services d’envergure ont déposé le bilan dans le monde en 2001. Un massacre qui pourrait se poursuivre cette année, au bénéfice des entreprises, spécialisées web ou pas, qui se sont restructurées à temps.

Les semaines se suivent et se ressemblent pour les agences web, ces sociétés de service nées de la vague internet et spécialisées dans la conception de sites web. En moins d’une semaine, deux des entreprises les plus symboliques ont annoncé de semi-catastrophes. Tout d’abord, Icon Medialab a fermé son bureau français et tous ses bureaux en Suède, son pays d’origine.Puis c’est BT Ignite, filiale de British Telecom, qui a annoncé 2 200 suppressions d’emplois sur 18 000 personnes. Un moindre mal, diront certains, puisque plusieurs actionnaires de l’opérateur d’outre-Manche réclamaient la fermeture pure et simple de BT Ignite, considérée comme un puits sans fond après des pertes de 346 millions d’euros en 2001.Pourtant, il existe bien un marché des services e-business, selon Markess International. Le cabinet estime que les services informatiques ont généré en France un chiffre d’affaires de 19,2 milliards d’euros l’année passée, dont 3,9 milliards consacrés à l’e-business. Mais le spécialiste note aussi qu’en 2001, dans le monde, 13 agences web réalisant plus de 10 millions d’euros de CA ont mis la clé sous la porte. Paradoxal ? Pas vraiment, car depuis que le terme “web agency” a été introduit par Fi System, en 1998 en France, la situation du marché s’est trouvée complètement bouleversée, et pas seulement à la suite de l’éclatement de la bulle internet. “”Web agency”, ça ne veut rien dire, s’indigne François de la Villardière, PDG de Business Interactif, coté sur le Nouveau Marché. C’est un terme purement financier qui était destiné à augmenter la valorisation des sociétés qui se présentaient sous ce vocable.”Car, en fait, une agence web n’est qu’une société de services informatiques qui a pris, avant ses concurrents, le virage du web. Aujourd’hui, rattrapées par toutes les autres sociétés qui ont intégré à leur tour les savoir-faire autour d’internet, les agences web ont dû partager un gâteau qu’elles voyaient immense. Et quand les agences de communication, déjà fortement implantées auprès des grands comptes, ont attaqué le marché, le gâteau a encore diminué. Parallèlement, le marché des start-up a disparu, renforçant la concurrence.

Les géants d’aujourd’hui…

Si le nombre de projets en provenance des entreprises a chuté, les budgets moyens, eux, ont progressé assez vite. “De 50 000 euros en 1998, on est passé à 500 000 euros en 2000, et plus de 1 million aujourd’hui”, note Rafi Haladjian, président de Fluxus. Mais les marges des agences web n’ont cessé de s’étioler. Ainsi, Thierry Sainte-Claire Deville, directeur général France de Fi System, note que les agences web ont dû réduire les tarifs de leurs prestations d’au moins 20 %. “Nous étions en compétition sur un gros projet contre une SSII qui a cassé ses prix, tout simplement parce qu’elle avait des ingénieurs inutilisés à disposition, et qu’elle préférait leur donner du travail, même si ce n’était pas rentable.”Aujourd’hui, les clients ont la main sur les tarifs, et n’hésitent pas à imposer leurs conditions. Certains clients prestigieux de Babel At Stal demanderaient même des délais de paiement en espérant que la société aura déposé son bilan avant facturation. Après des licenciements, des réductions de salaires de 20 %, Babel At Stal pourrait succomber à son tour dans les prochaines semaines, selon plusieurs sources concordantes. Interrogée par Le Nouvel Hebdo, la société n’a pas souhaité commenter cette information.En outre, constate Rafi Haladjian, “le coût de suivi de projet est loin d’être neutre dans les charges des entreprises”. Cette composante a sûrement été pour beaucoup dans les pertes d’Icon Medialab. Pour des projets à 150 000 euros, l’agence web mobilisait parfois jusqu’à 40 collaborateurs sur un mois complet. Une opération difficilement rentable.À ces difficultés s’ajoute la transformation de la demande des clients. Aujourd’hui, l’intégration des solutions e-business a pris le pas sur le design de sites, comme le montre Markess International. Outre les difficultés financières des sociétés, c’est l’une des raisons majeures qui explique la concentration très importante du secteur. Markess International a ainsi recensé près de 39 opérations de fusion-acquisition en 2001.

… les gagnants de demain

Business Interactif s’est offert les compétences de F.R.A. dans la gestion des back office, et la liaison des sites avec les progiciels de gestion intégrés des sociétés. “Nous réalisons aujourd’hui de 70 à 80 % de notre chiffre d’affaires sur l’intégration des “back office””, se félicite François de la Villardière. Himalaya, qui était aussi en grande difficulté, a fusionné avec Eurasset pour acquérir des compétences de gestion de la relation client et de centre de contact. L’activité historique d’Himalaya ?” le développement de sites web ?” ne devrait ainsi plus représenter que 35 % de son chiffre d’affaires en 2002. “Il faut maîtriser toute la chaîne de vie d’un site”, note Christophe Sapet, le nouveau PDG de la société, même s’il reconnaît que les centres de contact sont devenus une commodité qui ne génère que de faibles marges.Toutefois, Franck Maury, directeur du développement de l’agence web Syzygy, relativise l’intérêt de ces opérations d’acquisitions à tout-va : “Ce n’est pas intéressant de reprendre une société en déliquescence, car les clients vont voir ailleurs et les équipes sont démotivées. Une fusion-acquisition doit porter sur une société développant des activités complémentaires et saines.” Son entreprise, cotée sur le Neuer Markt, dispose de 53 millions d’euros en caisse et se contente de 47 salariés en France, préférant jouer de partenariats avec les filiales de son actionnaire principal, WPP.Les entreprises qui ont su se restructurer à temps profitent d’une plaisante embellie sur les premiers mois de cette année. Fi System se remet à embaucher après avoir signé de nombreux contrats à la fin de l’an dernier. Fluxus affirme avoir signé autant de contrats en quatre mois en 2002 que sur toute l’année 2001. Et Business Interactif dispose d’une dizaine de contacts très avancés qui pourraient déboucher rapidement.Tous les acteurs s’accordent à dire que ce sont les banques et les institutions financières qui tirent le marché, principalement sur des applications extranet et de publication de contenu. Quant aux analystes, qui avaient vu juste en prévoyant la chute des agences web, ils pronostiquent que le mouvement de concentration devrait s’achever à la fin de l’année, coïncidant avec un retour à la profitabilité pour ceux qui se sont restructurés à temps.

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Alain Steinmann