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Bull: en dehors du service, point de salut

L’avenir du constructeur informatique se limite à deux scénarios. Pour trancher, le nouveau PDG, Pierre Bonelli, a choisi de mener un audit qui durera jusqu’au printemps 2002.

Sans le service, un constructeur informatique ne peut perdurer. Là est la clé du problème de Bull. A soixante-deux ans, Pierre Bonelli, le nouveau PDG du ” fleuron de l’informatique française ” pour trois ans, le sait bien. La – courte – histoire de l’informatique le montre : le marché privilégie le fournisseur qui propose une solution avant un produit. Mis à part Dell, qui vend en direct, les ténors actuels savent qu’ils dépendent de cette valeur ajoutée. Pour IBM, le service est même devenu la base du métier, puisque la vente de matériel puise sa source dans la commercialisation de solutions. Et c’est tout le dilemme de Pierre Bonelli : doit-il garder sa filiale Intégris France – déficitaire mais potentiellement vendable -, au risque de mettre l’édifice en péril, ou bien la céder, quitte à voir l’activité serveurs et maintenance matérielle – encore bénéficiaire – se réduire comme peau de chagrin et plonger dans le rouge ?

En caisse, juste de quoi tenir jusqu’au printemps prochain

Déjà, entre ces deux scénarios, le choix est biaisé, puisque la machine infernale du démantèlement semble désormais enclenchée. Son prédécesseur, Guy de Panafieu, forcé de trouver de l’argent, a déjà dû céder la plupart des actifs rentables : la filiale cartes à puce, les automates bancaires, les imprimantes et la distribution. Il lui a même définitivement coupé l’herbe sous le pied en entérinant, le 27 novembre, la vente par échange d’actions d’Intégris Europe à Stéria. Mais il y a pire. Endetté jusqu’au cou, cumulant des pertes estimées à près de 2 milliards d’euros (12,55 milliards de francs), Bull n’aurait actuellement en caisse que de quoi tenir jusqu’au printemps. Le prêt de 100 millions d’euros du gouvernement français – s’il est accepté par Bruxelles – ne lui servirait alors qu’à surnager le temps que l’audit de Pierre Bonelli décide de son avenir. Or, il y a urgence !

Deux scénarios à envisager

Premier scénario : Pierre Bonelli renonce à la vente d’Integris France. Il existerait alors une chance de survie, optimisent plusieurs analystes financiers. Mais c’est bien ignorer les lois du marché des constructeurs informatiques, marché actuellement en crise ! Car la condition indispensable serait de recapitaliser l’entreprise. Cette énième opération de sauvetage risque fort de ne pas rencontrer d’écho auprès des actionnaires. En effet, ceux-ci sont – aujourd’hui plus que jamais – réticents à mettre la main au portefeuille, l’activité de Bull se positionnant en concurrence directe sur leurs marchés. C’est cette divergence, en opposition aux projets de Guy de Panafieu, qui aurait forcé celui-ci à démissionner. Aujourd’hui, seule une stratégie très énergique et la personnalité de Pierre Bonelli, issu du sérail, pourraient inverser leur décision.C’est alors que le second scénario entre en jeu. Faute de financement et une fois Intégris France vendue, ne resteront à Bull que les activités de vente de matériel (Infrastructures & Systèmes, et Maintenance) et logiciel d’administration et de sécurité (Evidian). Et, à ce moment-là, le constructeur national ne sera plus qu’un simple distributeur – au mieux, un intégrateur – de produits construits par d’autres – IBM, NEC, Intel, EMC et Epoch, notamment. Face à un marché devenu très concurrentiel et forts de leur offre de services et de solutions, aucun d’entre eux ne se privera alors de concurrencer Bull sur son propre terrain. Au-delà de cette problématique, c’est le client qui risque de faire défaut. Bull doit, en effet, sa réussite à la commande publique. Son heure de gloire a culminé avec la loi de décentralisation de 1982, qui a accordé aux régions, départements et mairies leur indépendance de choix de gestion informatique. A l’époque, presque toute l’administration centrale et territoriale choisissait Bull. Cette compétence lui avait permis d’attaquer – avec succès – le marché privé. Aujourd’hui – concurrence oblige -, la part du public a fortement reculé. Sans pour autant être compensée par des commandes d’entreprises.

L’arbre abrite encore deux richesses

Créé dans la douleur à l’issue du ” Plan Calcul ” en 1976, géré avec une logique administrative, récupérant les canards boiteux de l’électronique française, nationalisé en avril 1982, perfusé pendant dix ans d’aides diverses à hauteur de 20 milliards de francs, privatisé en 1993 et 1995, restructuré durement en 1991, 1994 et 2000… Le feuilleton Bull serait-il arrivé à son terme ? Personne ne peut le prédire, car l’arbre abrite encore deux richesses : ses hommes, experts reconnus pour leurs compétences, et ses participations en capital ou en actions dans de multiples sociétés informatiques, comme NEC, Packard Bell ou – maintenant – Stéria. Celles-ci représentent un trésor qui pourrait encore, selon un analyste financier, transformer Bull en société de portefeuille, comme le sont devenus d’anciens industriels, tels Marine-Wendel ou Industrie des transports. Sans aller jusque-là, il reste d’autres voies. Fort de son audit, Pierre Bonelli donnera la direction. Mais pas avant le printemps prochain. C’est bien long pour un sauvetage d’urgence !

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Clarisse Burger, Stéphanie Chaptal, Corinne Couté, Hubert d'Erceville