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Bernard Seité (Akamaï): “Nous contrôlons tout l’Internet mondial”

Après deux ans d’existence, Akamaï affiche déjà une valorisation boursière de 20 milliards de dollars. Directeur général Europe du Sud, Bernard Seité explique à 01net. les ambitions de cette start-up qui veut doper Internet.

Créée par deux anciens étudiants du MIT, la start-up a déployé sur l’ensemble du globe un réseau de 3200 serveurs destinés à doper l’affichage des pages Web. Des sociétés comme Yahoo!, MSN ou CNN sont déjà ses clientes. Un succès des plus rapides grâce à une forte technologie au service d’une stratégie audacieuse.
01net.: Akamaï est quasiment inconnue en France. Pouvez-vous résumer son métier en quelques mots?

Bernard Seité: Nous sommes un accélérateur de Web. Notre technologie permet d’afficher plus rapidement les pages Web dans un ratio de deux à dix, selon les benchmarks de nos clients réalisés par l’institut de mesure Keynote.Qui est à l’origine de la société? En 1995, Tim Berners-Lee ?”le créateur du langage HTML?” a lancé un challenge à une équipe d’étudiants du MIT: élaborer des algorithmes permettant d’accélérer l’affichage des objets lourds. Au bout de trois ans, ils ont enfin trouvé la solution et deux d’entre eux ?”Tim Leighton et Danny Lewin?” ont fondé Akamaï. Ils ont alors embauché l’ex-numéro deux d’IBM, George Conrades, pour diriger la société, et Tim Berners-Lee est devenu président du conseil d’administration.Et comment est-il possible d’accélérer le chargement de pages Web?Grâce à un réseau de serveurs stockant localement les éléments les plus lourds des pages Web de nos clients, autrement dit les images, les bannières, les graphiques, etc. Prenons l’exemple d’un internaute breton se connectant à un site Web californien. Il recevra une page HTML contenant du texte et une suite d’URL indiquant l’emplacement de tous les objets lourds. Cela oblige le navigateur à une série d’allers-retours afin de télécharger les différents objets. Tout le monde constate ce phénomène: quand on se connecte à un site distant, le texte apparaît toujours en premier et il faut souvent attendre plusieurs secondes avant de voir les images affichées par le navigateur. Si le serveur californien est l’un de nos clients, une suite d’algorithmes réoriente le navigateur de l’internaute breton vers notre serveur le plus proche de chez lui, par exemple Rennes, lors du téléchargement des images du site visité.Comment les requêtes des internautes sont-elles redirigées vers le bon serveur?Nous installons sur le site de notre client un logiciel transformant les URL correspondant aux adresses de ses images en ce que nous appelons des ARL. Quand le navigateur de l’internaute se connecte à l’une de ces ARL, il est redirigé vers un domaine du type Akamaï.net, où il sera pris en charge par l’un de nos serveurs. En fonction du trafic sur le Réseau et du lieu de connexion, un algorithme de résolution géographique indique alors au navigateur le serveur sur lequel il doit aller télécharger les objets lourds.L’efficacité du système repose sur le nombre de serveurs disponibles. Combien en avez-vous?Notre parc de machines comprend environ 3200 serveurs répartis dans quarante-sept pays. A la fin de cette année, nous devrions en avoir 5000. En France, nous en avons 35 pour l’instant et je compte en déployer une centaine supplémentaire dès ce mois-ci.Et où sont installés ces milliers de serveurs?Directement chez les fournisseurs d’accès. Pour les plus petits d’entre eux, le principal avantage d’héberger un serveur Akamaï est d’économiser de la bande passante. En effet, les sites les plus fréquentés aujourd’hui sont des clients d’Akamaï. Comme tous les objets lourds de ces clients sont stockés sur nos serveurs, le fournisseur d’accès n’a plus besoin d’utiliser de la bande passante pour aller les chercher sur le Net, il les a à disposition chez lui. De plus, il acquiert un avantage concurrentiel puisque tous ses internautes clients surfent plus rapidement sur la Toile et sont donc plus satisfaits du service du fournisseur d’accès. Quant aux grands fournisseurs d’accès ?”opérateurs de télécoms, UUNET, MCI-Worldcom?”, nous leur achetons de la bande passante.Est-il exact que vous avez la plus grande bande passante de l’Internet?Oui, avec 12,5 gigabits par seconde! Environ 5% du trafic mondial d’Internet passe par nos serveurs et nous visons 25% du trafic pour l’année prochaine avec une bande passante de 25 gigabits par seconde. Nous sommes le plus grand client de ces gros fournisseurs d’accès, ce qui nous permet de baisser les prix. En huit mois, nous sommes parvenus à descendre de 50% le prix d’achat de notre bande passante.Comment contrôlez-vous le trafic Internet?Nous contrôlons les flux entrants et sortants de tous les datacenter de la planète. Nos algorithmes associent ces flux avec les 180000 blocs IP de l’Internet mondial. Et toutes les vingt minutes ?”le temps du calcul?”, nos serveurs fournissent une carte du trafic du Net. Au niveau régional, nous analysons environ 10000 blocs IP qui nous donnent une nouvelle carte toutes les vingt secondes. Grâce à ces cartes de trafic, nous dirigeons le navigateur des internautes vers nos serveurs les plus proches et déterminons la route la moins encombrée possible pour transmettre l’information sur le Réseau.Qui sont aujourd’hui vos clients?Après huit mois de commercialisation, nous comptons plus de 1300 clients. Aux Etats-Unis, Yahoo!, MSN, CNN, CBS, Lycos, Altavista, Infoseek, Blockbuster.com, NBC ou encore General Motors en font partie. Pour la France, nous avons déjà signé des contrats avec le Boston Consulting Group, TDS ?”qui va diffuser 250 radios d’ici à la fin de l’année avec nos technologies de streaming?” et Canal Web. Nous sommes en discussion avec des titres de presse, de gros sites marchands et des fournisseurs d’accès.Un routage personnalisé, cela doit coûter cher à vos clients, non?Nous les facturons en fonction du volume de bande passante utilisé. Nous contrôlons toutes les cinq minutes le volume utilisé par nos clients et divisons le tout par 300 secondes pour obtenir la consommation de bande passante par seconde. Le prix est fixé en fonction du prix moyen de la bande passante, plus notre marge bénéficiaire. En ce moment, notre prix est de 2000 dollars par mégabit par seconde et par mois. Le paiement est mensuel pour des contrats renouvelables d’un ou deux ans.Quelle est la consommation moyenne de vos clients?A titre d’exemple, un mégabit par seconde par mois correspond à un volume de 160 gigabits ayant transité par nos machines sur un mois. Les start-up Internet, comme les sites marchands, ont souvent besoin d’un ou deux mégabits, soit une dépense d’environ 13000 à 20000 francs par mois. Nos plus gros clients consomment de 10 à 20 mégabits par seconde et par mois.Vous avez parlé de streaming vidéo. Quel type de services êtes-vous à même de fournir en la matière?Nous voulons être les premiers sur le marché du streaming audio et vidéo. Nous avons donc participé avec Apple au développement de QuickTime TV et racheté en février la société Intervu, spécialisée dans l’encodage et l’hébergement d’applications de streaming vidéo. Nous avons également signé des contrats avec Microsoft et Real. Tous nos serveurs hébergent donc les applications audio et vidéo de ces sociétés.Parmi vos actionnaires, on trouve plusieurs géants de la high-tech…Effectivement, Cisco, Microsoft, Apple et PSInet sont investisseurs et partenaires d’Akamaï. Chacun d’entre eux détient entre 5 et 10% du capital de la société. Les créateurs de la société et le fonds de capital-risque de George Conrades sont également actionnaires. Environ 10 à 15% des parts de la société ont été mises en Bourse à Wall Street. Le succès est phénoménal: pour un prix de départ de 13 dollars, l’action vaut aujourd’hui aux alentours de 136 dollars (en baisse toutefois de 60% par rapport au 1er janvier 2000, Ndlr).Les plus-values boursières, c’est bien. Mais à quand la rentabilité?Notre chiffre d’affaires est d’environ 30 millions de dollars pour autant de pertes. Je ne saurais vous dire quand nous serons rentables, les analystes financiers nous demandent simplement d’acquérir le plus vite possible des parts de marchés. Mais, avec plus de cent nouveaux clients par mois aux Etats-Unis, le pari semble tenu.Quels sont vos objectifs financiers en France et en Europe?En termes de trafic vendu, nous nous sommes fixé un volume de 250 mégabits par seconde par mois à atteindre d’ici à janvier 2001 pour un revenu récurrent d’environ 3 millions de francs par mois. Mes premiers contacts clients me font penser que cet objectif sera largement dépassé. Nos ambitions sont grandes en Europe puisque nous espérons générer environ 30% du chiffre d’affaires de l’entreprise d’ici à la fin 2002.Et concernant le recrutement?Au niveau des effectifs, je suis justement en phase de recrutement. Nous devrions être une trentaine à la fin de l’année. Mais ces chiffres pourraient être rapidement dépassés. L’année dernière, Akamaï employait une trentaine de personnes dans le monde. Aujourdhui, nous sommes plus de huit cents!

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Propos recueillis le 6 mars 2000 par Antonin Billet, 01net.