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Arnaque par SMS : qui est coupable ?

Combinés au téléphone surtaxé, les minimessages font la fortune d’éditeurs peu scrupuleux. Impuissants, les opérateurs constatent les dégâts… en attendant les prochaines tromperies.

Le premier mai, un bouquet de muguet virtuel a envahi les téléphones portables de milliers de Français. Envoyé par minimessage (SMS), ce bouquet virtuel invitait des possesseurs de mobiles à composer un numéro Audiotel surtaxé pour découvrir s’ils avaient gagné une surprise. Cette opération semble avoir constitué un test afin de mesurer la réceptivité des utilisateurs avant de passer à une étape supérieure : le SMS Love.Exploité par différents éditeurs de services, le SMS Love est un simple minimessage. Celui-ci indique : “Quelqu’un que tu connais t’aime en secret, et nous a chargés (sic) de te prévenir. Devine vite qui a flashé sur toi en appelant le 08 99 7XXXX.”Bien sûr, l’appel au dit numéro ne débouche pas sur la passion mais est largement surtaxé : 1,35 euro dès l’appel puis 0,34 euro pour chaque minute de connexion. Le chiffre d’affaires généré par ce ” service ” est évalué à 4 millions d’euros, en moins de quinze jours, toutes sociétés confondues (une demi-douzaine sont concernées).Le modèle économique de ce procédé est simple : selon les volumes de SMS Love envoyés, leurs expéditeurs les ont payés entre 4 et 6 centimes d’euro. Chaque appel au numéro surtaxé leur rapportait 2 euros en moyenne. Si près d’une personne sur quarante appelle ce service, l’éditeur ne perd pas d’argent.

” La machine s’est emballée “

Bien sûr, les inventeurs du SMS Love ont parié sur un taux de réponse supérieur… ” En fait, la machine s’est emballée, explique un éditeur sous couvert de l’anonymat. Tout le monde, y compris Vizzavi, exploitait discrètement ce type de service jusqu’en juin. Nous avons voulu en faire une promotion par du marketing direct pour prendre des parts de marché plus rapidement que nos concurrents. Plus nous envoyions de messages, plus on rentrait de chiffre d’affaires. Et lorsque nos concurrents ont vu nos volumes, ils ont aussi envoyé des SMS par dizaine de milliers. ça ne s’est arrêté qu’avec les articles de presse. “Les responsabilités de chacun sont difficiles à juger. Sont mis en cause : les éditeurs, les sociétés d’expédition de SMS qui leur ont fourni leurs ” tuyaux “, et les opérateurs. Du côté des éditeurs, il y a eu une volonté d’amasser un maximum d’argent en un minimum de temps. En utilisant des moyens peu licites : le texte du SMS envoyé relève, en effet, de la publicité mensongère lorsqu’il affirme : “Quelqu’un que tu connais t’aime en secret et nous a chargés de te prévenir.”

Générateurs de numéros de téléphone

Car, en réalité, pour générer rapidement des volumes de connexion importants sur leurs services Audiotel, les éditeurs ont simplement envoyé leurs messages à des numéros de téléphone récoltés sur le web. Pire : certains éditeurs qui ne disposaient pas de bases de données de numéros de téléphone ont utilisé des générateurs de numéros qui ” arrosaient ” au hasard les utilisateurs de portables.Les sociétés d’expédition de SMS ont un simple rôle de transporteur. Mais certains s’étonnent qu’elles n’aient pas été surprises des forts volumes d’envois demandés par les éditeurs des SMS Love en un temps très court. Philippe Bornstein, directeur de Netsize France, affirme ne pas avoir routé plus de quelques milliers de SMS Love. “Pour une raison très simple : nous demandons à nos clients de nous prévenir à l’avance de ce type d’opération. Nous vérifions le texte du message envoyé et l’origine des bases de données de prospects. Et en cas d’incident, nous facturons nos clients plus de 200 euros par contestation. Cela évite les problèmes.”Seulement, l’exemple de Netsize ne semble pas avoir été suivi par tous. Certains routeurs ont ainsi envoyé des dizaines de milliers de messages en un jour, des volumes suffisants pour provoquer des interruptions de service momentanées chez les opérateurs ! Mais surtout, ces derniers ne pouvaient couper l’accès à leur réseau aux routeurs fautifs car leurs contrats impliquent seulement l’interdiction du spam. Or, les éditeurs pouvaient prouver qu’ils avaient bien recueilli le numéro de téléphone de leurs ” victimes ” lors d’une inscription à un forum, lors de chat…

Spam impossible à filtrer

Pourtant, les trois opérateurs mobiles peuvent aussi être mis en cause. En terme d’image, ils sont les premières victimes. C’est pour cela que France Telecom a saisi le Conseil supérieur de la télématique (CST) pour “interdire la prospection commerciale directe par SMS”. Le CST devait rendre son avis le 26 juin.Toutefois, certains éditeurs de services, honnêtes, s’interrogent sur la qualité des plateformes techniques des opérateurs. “À partir du moment où l’on connaissait les expéditeurs des messages et leur contenu, les opérateurs auraient dû être en mesure de les bloquer. Que serait-il arrivé si le SMS Love avait été un virus ?”, lance l’un d’eux.Chez Bouygues Telecom, on reconnaît : “Nous ne pouvons ni consulter ni contrôler le contenu des SMS transportés par ces sociétés. Pour le moment, nous ne pouvons donc pas filtrer le “spam”.” Même discours chez SFR. Leur seule réponse consisterait à masquer d’office les numéros de leurs abonnés, une pratique combattue par les éditeurs sérieux adhérents du Geste.

France Telecom mis en cause

Au-delà des opérateurs mobiles, c’est France Telecom qui est attaqué. Ce dernier est, en effet, l’opérateur de la quasi-totalité des éditeurs de SMS Love pour la partie Audiotel. “Comme sur le Minitel, France Telecom s’offusque après la bataille alors que la seule chose à faire était de couper les numéros Audiotel dès la supercherie découverte”, commente un professionnel de la télématique. Si les responsabilités seront difficiles à tirer au clair, tous les acteurs s’accordent sur la nécessité de préparer l’avenir. “Je suis sûr que cette affaire aura un effet positif. Elle va permettre de fixer les règles”, explique Philippe Bornstein, de Netsize.Pas sûr, car pour l’instant, peu d’acteurs sont prêts à en parler ouvertement. Opérateurs comme éditeurs de services se contentent de déclaration a minima via leurs services de communication ou de propos off. Fait plus troublant, la commission de déontologie de l’association SMS Plus, qui gérera les SMS surtaxés en France, ne se réunira que le 8 septembre alors qu’il y a urgence. Les arnaques ne sont pas prêtes de s’arrêter. La prochaine ? Pour sûr, l’utilisation du bouton reply qui devient courant sur de nombreux modèles. Grâce au reply, l’expéditeur d’un SMS peut donner la possibilité à un utilisateur de mobile d’appeler un numéro en appuyant sur l’un des boutons de son téléphone. Vous pourrez bientôt recevoir des SMS qui clameront : ” Vous avez peut-être gagné un prix, cliquez ici pour le vérifier. “ Un seul clic pourrait vous transporter vers un numéro encore plus surtaxé.

Depuis toute l’Europe

Plus grave : les opérateurs mobiles français ont rouvert leurs réseaux de SMS au roaming l’hiver dernier. Le roaming permet d’envoyer un SMS d’un opérateur étranger vers un mobile français. Une possibilité technique fermée par les opérateurs mobiles il y a deux ans pour sauvegarder leurs revenus. Car envoyer un SMS de Suisse par Swisscom, par exemple, permettait d’économiser 50 % du coût d’envoi.Cette possibilité rouverte, rien n’empêche des éditeurs de services malintentionnés d’expédier leurs messages piégés depuis l’Europe, à des coûts défiant toute concurrence. Et de guider leurs victimes vers des numéros internationaux, notamment en Israël. Facturés jusqu’à 4 euros la minute, les appels vers l’Israël ont fait la fortune d’éditeurs de messageries roses il y a quelques années. Le SMS pourrait bientôt devenir leur nouveau terrain de jeu.

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Alain Steinmann