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Alcatel, le traumatisme de la parole financière

L’équipementier français vient de livrer ses prévisions annuelles, mais sans oser afficher les objectifs de croissance qu’il pense pouvoir tenir. Souvenir persistant de l’erreur de communication de 1998 et de ” l’accident boursier ” qui en avait découlé.

Ne parlez pas marchés financiers à un membre de la direction d’Alcatel. Les langues se figent, les “no comment” fusent, et même le sursaut du titre, aiguillonné par les annonces de Serge Tchuruk, le président du groupe lors de la publication des résultats trimestriels, jeudi 26 avril, n’a arraché que de pâles sourires. Il est vrai que, depuis le début de l’année, le titre est encore perdant de quelque 40 %. Alors que l’action Siemens n’a lâché que 15 %, Nokia, 20 %, Motorola 25 %. Seuls Lucent Technologies et Nortel Networks, ont encore plus souffert. Ainsi, Alcatel, qui se porte plutôt mieux que ses concurrents, est moins brillant en Bourse.Le portefeuille d’activités du groupe, moins exposé à la conjoncture nord-américaine, est aussi plus diversifié. Le français a bénéficié au premier trimestre d’une forte demande dans les réseaux (+60 %) et dans l’optique (+32 %). Financièrement aussi, Alcatel est mieux disant. La dette nette (4,2 milliards d’euros, soit 27,5 milliards de francs) est raisonnable, et le groupe, à l’inverse d’Ericsson ou de Nokia, n’a pas dérapé dans le refinancement de ses clients. Le bénéfice net du trimestre atteint 210 millions d’euros, et le groupe table sur une hausse annuelle du résultat d’exploitation supérieure à celle du chiffre d’affaires. Là où un Lucent a dégagé des pertes nettes.

Sympathie mal partagée

Serge Tchuruk, après moult hésitations, s’est décidé à parier sur une croissance de l’activité en 2001, de 5 % à +15 %, alors qu’aucun compétiteur ?” en dehors de Nokia ?” ne s’y est risqué. A chaque profit warning d’un grand du secteur ?” Nokia le 31 janvier, Ericsson et Siemens le 13 mars, Cisco par deux fois, en mars et en avril ?” le titre Alcatel a chuté en sympathie. Rien que de très normal, dans un marché soumis à la gestion sectorielle des grands fonds internationaux. La réciproque, pourtant, n’est pas toujours vraie.Les ?” relatives ?” bonnes nouvelles lancées par Nokia sur le marché européen n’ont eu qu’une faible incidence sur Alcatel. Et les difficultés de 360 Networks, un opérateur canadien dans lequel le groupe français a investi 700 millions de dollars, n’ont pas eu de répercussions notables sur l’évolution boursière des autres équipementiers. Logiquement, Alcatel se paie moins cher que ses voisins (sur 2002, le price earning ratio moyen d’Alcatel ressort à 18, contre 29 pour Nortel, 30 pour Nokia, 40 pour Lucent, 42 pour Ericsson…).Bref, le divorce entre la Bourse et l’industriel français, deux ans et demi après ” l’accident “, qui avait vu le groupe perdre plus de 30 % de sa substance boursière en une séance, et 55 % en une semaine, reste patent. La faute à une communication financière inadéquate ? En 1998, l’annonce d’un mauvais résultat, sans profit warning préalable, avait valu au titre un retrait brutal des fonds anglo-saxons, suivi d’une désaffection des investisseurs français. On dit que Serge Tchuruk avait été personnellement affecté par le soupçon de déloyauté qui avait pesé sur sa communication.” Lorsque Serge Tchuruk a été nommé, il a procédé en quatrième vitesse au nettoyage des baronnies, à une révision stratégique et à la modernisation de l’outil industriel. L’affaire de septembre l’a cueilli à froid, et il en est resté traumatisé “, assure un spécialiste de la valeur. Cette blessure expliquerait la gaucherie d’Alcatel en la matière.” Particularité ? C’est le moins que l’on puisse dire. Lorsque j’ai voulu mesurer le problème 360 Networks, on m’a répondu que l’on ne commentait pas les rumeurs. Le lendemain, une provision pour dépréciation était passée “, fulmine un analyste parisien.” Ils ont tellement peur de commettre à nouveau une erreur qu’ils n’ont pas livré leur vraie vision. Serge Tchuruk est sur ses gardes, sans pouvoir pour autant annoncer des catastrophes, puisqu’il n’y en a pas. Il a dû penser que s’il parlait d’atteindre des marges de 10 %, personne ne le croirait. Or, il est capable d’y parvenir. Et la communauté financière le sait. Sauf les Français, qui ont plus de ranc?”ur. Du coup ce sont les Anglo-Saxons qui ramassent du papier Alcatel “, rapporte André Chassagnol, analyste télécoms chez IC Bourse, qui a connu septembre 1998.Malgré ce rebond, la faiblesse relative du cours demeure. Est-elle de nature à gêner les mouvements de l’équipementier télécoms français ? “La faiblesse du titre ne devrait pas gêner la politique d’acquisitions. Alcatel a fait le plein, assure un des banquiers du groupe, qui ne croit pas au rachat de tout ou partie de Lucent Technologies, évoqué par la presse américaine. La communication d’Alcatel, tranche effectivement avec la culture anglo-saxonne. Aujourd’hui, il faudrait clamer partout les mauvaises nouvelles. Lorsque les marchés vont se stabiliser, la culture européenne sera sans doute mieux comprise”.

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Jean-Michel Cedro