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243 millions d’euros de pertes nettes, encore une année noire pour Bull

Le groupe Bull tente de réduire à zéro son endettement. Après s’être réorganisé, le constructeur national se dépêche de vendre ses activités rentables mais n’ose pas faire de prévisions officielles pour 2001.

Dur. Très dur le début d’année 2001 pour le groupe informatique français Bull. Des pertes nettes de 243 millions d’euros (1,6 milliard de francs) sur l’année 2000. Un chiffre d’affaires en baisse de 2,3%. Des salariés inquiétés par un énième plan social et des cessions d’actifs sauvages, à hauteur de plus de 400 millions d’euros. Un cours de l’action au plus bas à la veille de l’annonce des résultats (2,71 euros). Un carnet de commandes pour l’année 2000 difficile à renflouer. Bref, le groupe français tente à tout prix d’éviter son démantèlement. Le tout sur fond de morosité du secteur informatique où les géants HP, Dell, Motorola, Xerox et autres EMC sont, eux aussi, obligés de réduire les coûts et leurs effectifs (voir les résultats ci-après).

Bull vend ses activités rentables

Contraint de renflouer les caisses d’urgence, le groupe français se sépare de tout ce qu’il ne considère pas comme stratégique. Il vient de vendre CP8, rentable, pour 350 millions d’euros au groupe Schlumberger et sa filiale irlandaise Cara – annoncé comme si de rien n’était lors de la présentation des résultats – pour 31 millions d’euros au groupe Hibernia Capital Partners (associé au management de Cara Group). Une stratégie qui n’étonne plus vraiment : à la fin de 1999, Bull se retirait déjà d’Ingenico, fabricant de terminaux, d’imprimantes et d’automates bancaires. A l’été 2000, il se dégageait de l’usine de sous-traitance électronique d’Angers pour la céder à l’Américain ACT Manufacturing. L’opération devrait se reproduire encore pour Evidian (ex-Bullsoft), sa filiale logiciels dont le chiffre d’affaires vient d’accuser une baisse de 16,9%. Quant aux deux nouvelles activités détenues pour l’heure à 100% par le constructeur – Bull Infrastructure et Systèmes dédiée aux serveurs (1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires) et Integris destinée aux services (1,1 milliard d’euros) et en cours de filialisation – elles n’ont plus droit à l’erreur et doivent rapporter des marges significatives. Il ne faut donc pas rêver sur les perspectives 2001. D’autant que Guy de Panafieu, le PDG du groupe, n’a pas tenu à les dévoiler officiellement. Il prévoit toutefois une tendance positive avec l’arrivée de partenaires majoritaires et en comptant, notamment, sur l’amélioration du résultat d’exploitation au second semestre 2000, le retour à la croissance du carnet de commandes à la fin 2000 (+16%), la réorganisation du groupe et la diminution de sa dette par de très prochaines cessions d’actifs.Mais l’argument de Guy de Panafieu tient aussi dans la différentiation entre valeur intrinsèque et valorisation boursière : “La valeur intrinsèque de Bull (tout comme sa filiale CP8 qui ne représentait que 5% du CA) est supérieure à sa valeur capitalistique”, dit-il. Autre remarque : “Notre dette comptable est à ce jour de 301 millions d’euros (face aux 237 millions d’euros de fonds propres). Avec nos cessions d’actifs nous allons recevoir 361 millions d’euros à la fin du premier trimestre 2001. Ce qui réduira notre endettement à zéro “, poursuit le président du groupe, qui ne veut pas croire à l’effondrement de ses prévisions pour 2001.Est-il encore question aujourd’hui de plan de secours ? Que reste-t-il vraiment du constructeur national ? En y regardant de plus près, force est de constater en effet que, de la même façon qu’il n’a pas pris le virage de l’informatique grand public au bon moment, Bull a ensuite tardé à prendre celui des services. Un grand comme IBM, qui n’avait pas vu non plus venir les choses à temps face à des acteurs de la micro-informatique tels Compaq et autres Dell, s’est rattrapé depuis et réalise à présent près de la moitié de ses bénéfices grâce à ses activités de services. Sans compter que Bull est encore bien enfermé dans ses actionnariats. Et que les industriels IBM, Motorola, Nec et France Télécom ne sont plus motivés.Quant à l’actionnariat avec l’Etat, l’histoire prouve que ceux qui l’ont expérimenté, tels France Télécom (qui soit dit en passant est encore en train de réduire son endettement) ou les industriels Airbus Industries et Renault, sont devenus réellement rentables qu’après leur privatisation.

Un autre plan social est prévu cette année

Annoncé dès la fin de l’année 2000, le nouveau plan social compte quasiment le même nombre de suppressions d’emplois qu’en 1999 : 10% des effectifs, soit 1 800 personnes. Les salariés et leurs délégués syndicaux ont voulu jouer les rebelles au début 2001. Après avoir frappé aux portes de Matignon, du ministère de l’Industrie, puis des Finances aux côtés des salariés de France Télécom (actionnaire à 17%), les salariés de Bull se sont trouvés face à une fin de non recevoir. “L’Etat n’a pas joué son rôle d’actionnaire”, se plaignaient les délégués CGT de Bull. Les mêmes qui déplorent la vente de CP8 et la future cession d’Evidian “qui représentent pourtant un atout puissant sur le marché de la sécurité internet, au même titre que CP8 dans son domaine. Nos investissements dans ce secteur sont forts et Bull s’en sépare “, regrette Claude Ménard, délégué syndical CGT chez Bull. Qu’il s’agisse de vendre les filiales les plus rentables pour pallier un trou de trésorerie de près de 1,6 milliard de francs ou des deux milliers de personnes qui feront partie du plan social, la raison est la même: “Un plan de restructuration est nécessaire pour retrouver des marges et réduire les coûts “, insiste Cyrille du Peloux, directeur général du groupe. D’autant plus que la moyenne d’âge dépasse largement les quarante-cinq ans aujourd’hui pour l’ensemble du groupe. Dans les deux nouvelles divisions, cette moyenne est de quarante-deux ans pour les services et de quarante-cinq ans pour les serveurs. “Nous avons l’intention de rajeunir nos équipes et notre plan d’embauche pour ces deux activités va privilégier les 25/35 ans afin de redynamiser le groupe “, poursuit Cyrille du Peloux. Une logique que suivent les grands de l’informatique. Chez IBM Global Services par exemple, “la moyenne d’âge ne cesse de diminuer dans les services et nous privilégions cette année les embauches de juniors jusqu’à dix-huit mois d’expérience “, indique Jean-Louis Bernaudin, responsable du recrutement chez IBM France. Il n’est pas bon non plus de valoriser son attachement à l’entreprise: “Si les salariés de plus de quarante-cinq ans attachés à leur entreprise n’ont pas évolué dans des structures réactives ces cinq dernières années, ils auront du mal à retrouver des postes, du moins dans le haut management”, confirme Gérard Fournier, président de Boyden Interim Executive, spécialiste de l’intérim informatique pour cadres supérieurs. Que restera-t-il dès lors à Bull ?

Des points forts à ne pas négliger

Selon le cabinet de conseil PAC, les points forts du constructeur ne sont pourtant pas négligeables. A commencer par son expertise dans les infrastructures techniques et dans la mise en ?”uvre de progiciels de gestion intégrés (PGI). Bull est, en effet, le principal revendeur de la licence Baan IV en Europe et l’un des premiers intégrateurs SAP. “Bull détenait jusqu’en 1999 la cinquième place du marché des PGI avec ses prestations autour du produit Baan, derrière IBM, Cap Gemini et Accenture “, précise Jean-François Perret, président-directeur général de PAC. Autre point fort perçu par le cabinet de conseil : “Bull figure parmi les quinze premiers fournisseurs de systèmes d’information pour les opérateurs de télécoms (19% de croissance en 2000). Le groupe présente également un fort potentiel dans la conception d’architectures e-business (plus de 30% de croissance et 15% du CA 2000), notamment avec son agence web, Operia, ainsi que dans les solutions et services dédiés à la sécurité des systèmes de paiement “, ajoute-t-il. Les points faibles ? “Bull doit être davantage présent dans le domaine des applicatifs, poursuit Jean-François Perret. Le constructeur est absent du groupe des grands acteurs de la gestion de la relation client, même si le rachat d’Osis a permis de réaliser les premiers pas. Il est encore un acteur moyen dans l’outsourcing. Et en matière de conseil, Bull doit se renforcer par le biais d’acquisitions, peaufiner son organisation interne et améliorer son image.”Enfin, pour Alain Buis, ex-président de Cube et aujourd’hui président de l’Adami, l’activité serveurs mal perçue par les analystes (33% du CA en 2000) aurait ses atouts. “La situation n’est pas désespérée. Les compétences et les produits sont bien là et le réseau de clients demeure important, surtout dans la fonction publique. Les serveurs et les services sont en effet le c?”ur de métier de Bull. Les produits sont de haut niveau, même s’il existe encore des failles dans le service client. Mais un changement culturel est à faire dans les services jusqu’ici liés au matériel.”

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Clarisse Burger